LE QUOTIDIEN – Au ministère de la Santé, avez-vous fixé vos priorités à l’horizon de la fin du quinquennat ?
J’ai jusqu’au terme de ce quinquennat pour remettre de la confiance dans le système de santé, pour ses bénéficiaires comme pour ses acteurs. C’est vrai, j’ai voulu revenir dans ce ministère et m’occuper de la Santé en plus du Travail et de l’Emploi. Le temps est court. J’ai 18 mois pour faire beaucoup plus que ce que j’ai pu faire en 21 mois la fois précédente. Je sais désormais où sont les blocages et j’ai clairement une obligation de résultats ! Mais attention. J’entends certains dire que je serais le ministre des seuls médecins libéraux. Rien ne serait plus faux. Je suis le ministre des patients comme des professionnels de santé. Et je marche sur deux jambes : l’hôpital et la médecine de proximité.
Quant à l’échéance présidentielle de 2012, elle ne m’obsède pas. Mon horizon, c’est plutôt la décennie : je voudrais que tous les professionnels de santé puissent sentir à nouveau que la médecine est un secteur d’avenir. Je pense toujours que la France a le meilleur système de santé au monde, même s’il est perfectible. Mais la santé connaît une crise de confiance sans précédent. C’est cette confiance qu’il faut restaurer. D’où l’action que je veux conduire en faveur de la médecine de proximité mais aussi de l’hôpital.
En pratique, vous allez mener à la demande du président de la République une nouvelle concertation sur la médecine de proximité. Comment allez-vous procéder ?
Le 6 janvier, avec Nora Berra, je vais réunir tous les acteurs concernés. Première étape, le matin : concertation autour du rapport d’Élisabeth Hubert. Quelles sont les priorités ? Quels textes cela nécessite-t-il ? Quels sont les autres sujets qui doivent avancer ? J’associerai les syndicats médicaux, mais aussi d’autres acteurs comme les internes et le conseil national de l’Ordre. Ce n’est pas exhaustif. Dès le 6 janvier, il y aura des premières décisions ! Les médecins en auraient ras-le-bol des concertations qui dureraient des mois, l’heure n’est plus forcément aux grandes lois… En fin de quinquennat, c’est une toute autre logique qui s’impose. Il y aura des mesures rapides, des textes courts d’application immédiate. Je n’entrerai pas dans des cycles interminables de discussions.
Deuxième étape : l’après-midi du 6 janvier, je lancerai le chantier de la simplification avec l’installation d’une instance qui fera la chasse à la paperasse inutile. Les médecins veulent du temps médical. Là aussi, j’annoncerai des mesures immédiates. Et j’ai l’intention d’écrire en janvier à l’ensemble des médecins libéraux pour les interroger sur cette question de la simplification. Le délai sera court mais ils ont des idées et je veux pouvoir en tenir compte.
Nous discuterons, en concertation avec Jean-Pierre Fourcade, le calendrier et le contenu de sa proposition de loi qui reviendra sur certaines obligations mal comprises de la loi HPST [Hôpital, patients, santé et territoires]. Nous devrons aussi préciser la nouvelle forme juridique nécessaire pour que les maisons de santé pluridisciplinaires fonctionnent mieux. Bref, je tiens à la rapidité d’action et à l’exécution des décisions.
Enfin, sans attendre, j’organise ce soir-même une rencontre avec tous les directeurs généraux d’ARS [agences régionales de santé] et les représentants des syndicats médicaux. Mon rôle est, là encore, de permettre un bon climat de discussions et dialogue en régions.
Comment s’articulera cette concertation avec les négociations conventionnelles ?
Les négociations vont s’enclencher naturellement. Les conditions sont réunies pour que les discussions débutent le plus rapidement possible. Il y a une formalité préalable tout de même : les conclusions de l’enquête de représentativité, en février au plus tard. Ensuite, les discussions conventionnelles devraient donc pouvoir démarrer. Je constate à cet égard que les positions syndicales entre elles sont moins tranchées que par le passé. Les élections professionnelles sont terminées, je ne perçois pas les antagonismes d’antan. L’état d’esprit me paraît propice au retour de la confiance. Mais c’est au politique de donner des signes et je vais le faire. La balle est dans mon camp. En tout cas, je souhaite que le maximum de partenaires portent la future convention. Bien entendu, celle-ci ne peut s’inscrire que dans le respect des engagements financiers de l’ONDAM [objectif national des dépenses d’assurance-maladie].
Précisément, une nouvelle taxe contre les médecins récalcitrants à la télétransmission doit s’appliquer au 1er janvier. Est-ce de nature à pacifier le climat avec la médecine libérale ?
Je vais regarder l’état des lieux précis sur ce sujet. La taxe aveugle, qui ignore notamment le sur-mesure, ne me convient pas. Que veut-on en réalité ? Que ceux qui refusent de télétransmettre ou télétransmettent très peu jouent le jeu. C’est le seul sujet. Les généralistes sont à 83 % de télétransmission, les spécialistes à 60 %. Je veux donc regarder les situations particulières – visites, CMU, Carte Vitale… – et ne pas appliquer mécaniquement et immédiatement la taxe afin de ne pas pénaliser ceux qui jouent le jeu. La taxe, si elle est nécessaire, s’appliquera avec discernement et se concentrera sur ceux qui ne transmettent pas ou très peu. Intéressons-nous davantage aux atypies… Nous avons des outils qui permettent de cibler les contrôles sur ceux qui ont un comportement singulier ou déviant. Je fais cette recommandation à la CNAM [Caisse nationale d’assurance-maladie]. Il ne faut pas ostraciser l’ensemble des professionnels mais se concentrer sur la minorité qui doit faire évoluer sa pratique. Mais à tous, je demande de s’engager.
Après le médecin traitant et le parcours de soins, quel sera le fil directeur de la future convention médicale ?
Je vois deux axes prioritaires : l’accès aux soins sera l’enjeu principal dans le cadre d’une convention tournée vers 64 millions de patients, avec plusieurs volets dont la démographie médicale et la permanence des soins ; ensuite, ce sera à la convention de permettre de faire évoluer les conditions d’exercice et de rémunération, dans le respect des équilibres financiers de l’assurance-maladie.
Précisément, avez-vous des préférences en matière de rémunération ?
J’aime beaucoup l’idée de trois piliers. Je crois qu’elle a du sens parce qu’elle met fin une fois pour toutes aux guerres de religion sur la question « paiement à l’acte ou forfait ». L’exercice libéral repose sur plusieurs choses, la liberté de choix de son médecin, ça compte, mais l’acte est un principe fondateur. Touchez-y et vous déstabilisez l’ensemble de la médecine libérale. Le deuxième niveau – qui n’est pas une nouveauté en soi – est celui de la rémunération forfaitaire (permettant de financer certaines activités ou certaines contraintes). Mais attention, il s’agit d’une rémunération « en plus », pas « à la place » ! Enfin, le troisième pilier est celui des objectifs de santé publique, de la qualité et de l’efficience. Si les partenaires conventionnels souhaitent placer, par exemple, la question des CAPI [contrats d’amélioration des pratiques individuelles, NDLR] dans la convention, c’est ici qu’ils trouveraient leur place.
"C’EST AU POLITIQUE DE DONNER DES SIGNES ET JE VAIS LE FAIRE"
Vous l’évoquiez, le gouvernement a promis la création de 250 maisons de santé d’ici à 2012. Des mesures d’aide au financement vont-elles être prises ?
Ce financement est déjà prévu pour l’ensemble des 250 maisons; il pourra représenter jusqu’à 35 % (pris en charge par l’État) de l’investissement de départ. J’envoie aussi un message aux élus et aux promoteurs de ces projets : si ces maisons ne sont pas pensées et voulues par des professionnels, elles ne marcheront pas. La seule volonté politique ne suffit pas. Ceci étant, il faut une structure juridique vraiment adaptée et simple. La proposition de loi de Jean-Pierre Fourcade peut nous donner cet outil dès le courant de l’année 2011. Et puis il y a l’idée du guichet unique : dans les ARS, des équipes vont être formées pour accompagner les professionnels dans leur projet. Ces « portes d’entrée » seront toutes opérationnelles le 1er juillet 2011 – certaines le seront même avant.
Le développement professionnel continu (DPC) est en stand-by. Penchez-vous pour une publication sans changement des décrets finalisés par Roselyne Bachelot ou bien pour la relance d’une concertation ?
J’ai retenu les décrets parce que je pense qu’ils nécessitent des ajustements. Il n’est pas question pour autant d’opérer une refonte totale du DPC, on ne va pas repartir pour un cycle complet ! Mais cette réforme va concerner 1,7 million de professionnels toutes catégories confondues (56 000 médecins généralistes). Elle est de grande ampleur et des questions restent posées, notamment sur la gouvernance du DPC. Aujourd’hui, les professionnels n’y sont pas assez associés, je souhaite qu’ils le soient davantage. Pour tout dire, je ne sais pas réussir une réforme du système de santé, à quelque niveau que ce soit, sans les professionnels de santé.
Que comptez-vous faire pour la RCP des spécialités à risque ?
On doit absolument bouger sur ce dossier. Gilles Johanet m’a confirmé que son rapport serait rendu en tout début d’année, je souhaite qu’il n’y ait pas besoin d’études complémentaires à l’issue parce que mon idée est d’aller vite. Il est hors de question de jouer la montre car si on ne fait rien, il faudra affronter non seulement une crise des vocations mais aussi des carrières qui s’arrêtent beaucoup plus vite qu’elles ne le devraient. On a failli prendre des décisions dans le cadre de PLFSS mais le sujet n’était pas complètement abouti… Aujourd’hui je vois quand même se dégager un consensus sur les principales pistes à mettre en œuvre.
Ce consensus existe-t-il aussi avec les assureurs ?
J’ai le sentiment que les assureurs sont prêts à bouger aussi… De toute façon, il appartiendra au législateur de prendre ses responsabilités. Et qu’on ne me dise pas que la solution sera forcément très coûteuse parce que faire face à une pénurie sera beaucoup plus onéreux !
Le DMP démarre enfin. Cette fois-ci est-elle la bonne ?
J’ai un regret sur le DMP. Celui de ne pas m’être fié à l’époque à ma conviction première qui était qu’il fallait faire simple, ne pas s’engager dans une immense aventure industrielle mais partir de la pratique des médecins. J’étais encore jeune ministre, j’ai écouté beaucoup d’avis – certainement trop – et en fin de compte, on a oublié un principe : le mieux est l’ennemi du bien.
Aujourd’hui, on est sur la bonne voie. Il faudra quand même accompagner le mouvement parce qu’il ne s’agit de laisse s’installer le DMP discrètement. Je n’ai pas voulu placer l’opération dans une logique d’effet d’annonce mais j’aurai l’occasion, dès le mois de janvier, de montrer l’intérêt que je porte à ce DMP qui est avant tout un outil de qualité des soins.
Procurera-t-il un jour des économies comme l’avait initialement annoncé Philippe Douste-Blazy ?
Le DMP est d’abord un outil au service des patients. Par ailleurs, la qualité produit toujours des économies. Le DMP fera reculer, par exemple, la redondance des actes. Jusqu’à preuve du contraire, il y a toujours 15 % d’actes inutiles ou redondants dans notre pays.
L’ironie de l’histoire fait qu’il vous appartient de relancer la réforme de la médecine du travail que vous avez vous-même initiée. Quels sont vos plans ? Reprendrez-vous sur le fond ce que prévoyait le texte invalidé par le Conseil constitutionnel ?
La proposition de loi centriste au Sénat est déposée, nous la soutenons. Cette réforme est devenue urgente. Il y a eu sept séances de négociation entre les partenaires sociaux, 24 réunions de concertation avec les ministres concernés, deux réunions du Conseil d’orientation des conditions de travail. Le problème aujourd’hui est simple : s’il n’y a pas cette loi, la médecine du travail est en péril. Il nous faut la pluridisciplinarité. La médecine du travail est un réseau d’acteurs de proximité sur lequel nous voulons nous appuyer, pour parler notamment de la traçabilité des expositions professionnelles. J’insiste sur un point : je répondrai à toutes les inquiétudes sur l’indépendance des médecins du travail parce que ce principe est garanti.
L’hôpital semble passé à l’arrière-plan des préoccupations du gouvernement. Y avez-vous des projets pour les mois qui viennent ?
J’aurai une réunion de travail avec l’ensemble des syndicats de praticiens hospitaliers la semaine prochaine. Pour faire le point sur des sujets aussi divers que la loi HPST, la fin de la campagne budgétaire 2010, Hôpital 2012, le financement des postes d’internes, la permanence des soins hospitalière, la situation des urgences, la formation des médecins (avec la question des maîtres de stage), les indicateurs de qualité et de sécurité… Je reste totalement mobilisé sur ces dossiers comme sur l’ensemble des plans de santé publique, la T2A [tarification à l’activité] – à laquelle j’ai toujours cru – ou l’intérêt des MIGAC. Alors quand on me dit que l’hôpital est au second rang de mes préoccupations, je réponds : certainement pas ! Ce n’est pas parce que 2011 va être une année de renforcement de la médecine de proximité que je vais oublier l’hôpital.
Ces derniers temps, le discours présidentiel était cependant plutôt de dire : il y a eu la loi HPST, l’hôpital, c’est fait…
Mais il y a toujours un service après vote. Depuis ma prise de fonction, je suis allé à de très nombreuses reprises à l’hôpital. Vendredi dernier, j’étais à Bichat aux urgences pour voir comment les choses se passaient suite à l’épisode neigeux. Le 31 décembre, je serai aux urgences à Saint-Quentin. Je n’oppose pas la ville et l’hôpital. Au contraire, il faut qu’il y ait une meilleure discussion, un meilleur travail commun entre les deux.
L’affaire du Mediator a montré des défaillances dans le système de pharmacovigilance français et pose des questions sur l’indépendance des experts de l’AFSSAPS. Faut-il réformer ce système ?
J’attends les conclusions de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) mais oui, je pense qu’il y a des réformes à faire. Depuis la commercialisation du Médiator en 1976, il y a déjà eu de nombreuses évolutions ; on doit encore progresser. J’ai toujours été très attaché à la transparence dans le système de santé. Pourquoi ? Parce que la transparence crée la confiance. Voilà pourquoi j’ai missionné l’IGAS, de manière la plus détaillée possible. Il y aura deux étapes : revoir comment les choses se sont passées et comment elles auraient dû se passer – ces conclusions seront connues le 15 janvier ; puis renforcer la pharmacovigilance. Nous devrons nous poser cette question : comment fait-on, dans notre pays, pour, à partir de signaux faibles pour des cas très isolés, renforcer aussitôt et spontanément la pharmacovigilance ? Je suis aussi favorable à ce que des missions d’information parlementaires puissent travailler sur le sujet. Si on peut renforcer notre système, je le ferai sans hésiter. Même si cela bouscule des habitudes ou des traditions.
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