Le Dr Stéphane Gayet rêvait sans doute d’une fin de carrière plus heureuse. Dans une décision du 15 juillet 2022, l’infectiologue et hygiéniste, retraité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg depuis novembre 2021, a été radié du tableau de l’Ordre par la chambre disciplinaire de première instance de la région Grand Est, qui lui a reproché d’avoir prescrit des traitements « potentiellement dangereux » dans la prise en charge de Covid longs. Le conseil départemental du Bas-Rhin de l’Ordre est à l'origine de la plainte déposée contre le praticien.
Dans une interview accordée au site très controversé France Soir, le Dr Gayet a âprement contesté cette sanction, la plus lourde qui puisse être infligée à un médecin. « Je l’ai prise comme un coup de poignard », « j’étais terrassé, effondré », « c’est un déshonneur », a confié avec émotion l’infectiologue qui s’estime « victime d’une injustice ».
Le praticien a interjeté appel de cette décision, mais sa requête, parvenue hors délai à la chambre disciplinaire nationale, a été rejetée. Sa radiation sera effective le 1er décembre 2022. Le Dr Gayet affirme cependant vouloir se « battre jusqu’au bout ».
Graves accusations
Les charges retenues contre lui sont pourtant lourdes. Dans la décision que « le Quotidien » s’est procurée dans son intégralité, la chambre disciplinaire de première instance a estimé que le Dr Gayet avait « délibérément mis en danger ses patients en procédant à des expérimentations en dehors de tout cadre scientifique et institutionnel », violant ainsi plusieurs articles du code de déontologie médicale.
La chambre a également pris en compte « l’absence de prise de conscience du Dr Gayet de l’importance des risques qu’il faisait courir à ses patients, sans d’ailleurs se mettre en rapport avec leur médecin traitant ».
Ivermectine, azithromycine, hydroxychloroquine…
Au cours des mois de mars et avril 2021, plusieurs pharmaciens et médecins (dont deux confrères du Dr Gayet aux hôpitaux de Strasbourg) avaient alerté par courrier le conseil départemental du Bas-Rhin de l’ordre des médecins pour lui signaler la dangerosité de ses prescriptions, ne reposant sur aucun consensus scientifique.
Parmi ces alertes, deux médecins écrivent que l’association médicamenteuse prescrite par leur confrère « présente un risque important d’évènements indésirables, voire même du décès du patient sur trouble du rythme ». Les experts consultés par le CNOM ajoutent que les « prescriptions litigieuses ne prennent en compte ni les potentielles interactions entre médicaments associés, ni le cumul des effets indésirables, ni l’émergence de résistance bactérienne ».
Dans sa décision, la chambre disciplinaire ne fait pas mention des médicaments utilisés par le Dr Gayet, mais ce dernier reconnaît avoir prescrit des « traitements lourds », « à visée incisive », notamment de l’ivermectine, l’association azithromycine hydroxychloroquine, ainsi que « d’autres produits pour essayer d’enrayer ce processus infectieux, inflammatoire, sévère ».
Des patients de toute la France
Le Dr Gayet dit avoir pratiqué de nombreuses téléconsultations sur des patients qu’il ne suivait pas au quotidien. Dès le printemps 2021, sa réputation fait le tour du Web, au point que des gens de toute la France le consultent. « Des personnes très lourdement atteintes qui se sont ruées vers moi parce que j’étais un des seuls médecins qui acceptait de se pencher de façon très attentive sur ces cas de Covid long », assure l’infectiologue, qui dit n’avoir pas connaissance d’accident concernant ces patients qu'il avait pris en charge.
Le médecin plaide la bonne foi : « Je ne pouvais pas ne rien faire. Je ne pouvais pas leur prescrire uniquement une benzodiazépine, c’est-à-dire un tranquillisant, et puis du repos. » Ses consultations controversées finiront par alerter plusieurs pharmaciens. Dans plusieurs régions de France, les mêmes ordonnances, les mêmes alertes des pharmaciens locaux, remontent au conseil de l'Ordre du Bas-Rhin.
Propos irresponsables dans les médias
La personnalité très controversée du Dr Gayet, proche des mouvements antivax et complotistes, a sans doute pesé dans la décision ordinale. Le médecin s’est épanché à plusieurs reprises dans les médias, sans aucune retenue, pour promouvoir des traitements précoces contre le Covid dont l'efficacité n'était pas établie scientifiquement.
Il a également remis en cause la politique vaccinale, affirmé que « les vaccins ARN n’ont pas du tout une bonne efficacité », que ces traitements s’apparentent davantage à « une thérapie génique » dangereuse pour l’homme. Sur France Soir, le Dr Gayet s’en prend également à une partie de ses confrères, qu’il accuse d’avoir obéi « de façon servile et craintive aux recommandations officielles », rejetant les malades du Covid à qui, dit-il, il était l'un des seuls à venir en aide, souvent sans contrepartie financière. Le 1er décembre prochain, il devra cesser tout exercice médical.
L’Académie pointe les disparités de l’offre de soins en cancérologie
Un carnet de santé numérique privé ? L’onglet de Doctolib jette le trouble, jusqu'au ministère
Le retour à l’hôpital d’une généraliste après 25 ans de libéral
AP-HP, doyens, libéraux : pourquoi le secteur médical quitte X (ex-Twitter) au profit de Bluesky ?