LE QUOTIDIEN : Le 3 février, Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée aux Professions de santé, vous a confié un plan de lutte contre les violences envers les soignants. Quelle sera votre méthode de travail ?
Dr JEAN-CHRISTOPHE MASSERON : Qu'elles soient physiques ou verbales, les violences signalées envers les soignants augmentent, notamment sur la dernière année. Chez SOS Médecins, nous recensons au moins une agression violente chaque mois ! À plusieurs reprises, nous avons alerté les pouvoirs publics. Le 21 novembre, Agnès Firmin Le Bodo a annoncé le lancement d’une concertation nationale sur le sujet. Et début janvier, la ministre nous a officiellement missionnés – Nathalie Nion, infirmière et cadre supérieure de santé à l’AP-HP et moi – pour mener la concertation sur ces violences. Concrètement, nous allons auditionner tous les acteurs de santé, hospitaliers, libéraux, Ordres, fédérations hospitalières mais aussi personnels de sécurité des établissements. Nous avancerons des propositions concrètes d’ici à la fin du mois de mai au plus tard.
Ces auditions permettront-elles d'expliquer les ressorts des violences envers les soignants ?
Oui. Le 13 février, nous avons auditionné des sociologues pour comprendre la montée des violences dans les services de santé. Ils nous ont fait part de ressorts qui dépassent le secteur sanitaire. Forces de l’ordre, enseignants ou fonctionnaires : toutes les personnes confrontées au public peuvent connaître ces phénomènes violents.
Dans la santé, nous faisons face à des patients en situation de fragilité, anxieux. La façon dont se déroule la prise en charge peut générer de l’agressivité. C’est le cas dans les services d’urgence, en psychiatrie mais aussi lors des visites à domicile, ou dans les transports sanitaires, particulièrement touchés par le phénomène.
En 2021, l’Ordre avait recensé une hausse de 5,6 % des déclarations d’incidents chez les médecins. Comment expliquer l’amplification du phénomène ?
Il y a une transformation de la société avec une perte de repères. Auparavant, il y avait un respect du médecin, du maire, de l’instituteur. Désormais, nous ne bénéficions plus de cette "protection" éducative. Ensuite, nous vivons dans une société de l’immédiat, avec une intolérance à la frustration. Ça peut expliquer pourquoi les esprits s'échauffent au cabinet et aux urgences, face à des délais d’attente de plusieurs heures. D’autant plus que les patients ne comprennent pas toujours très bien pourquoi ils attendent !
Lors de la concertation, nous allons travailler sur la façon de gérer les flux, de faire de la prévention en expliquant aux patients leur prise en charge. Le vrai enjeu, à terme, sera de travailler sur des modèles d’organisation qui limitent les cycles de violence.
Les leviers seront-ils uniquement organisationnels ?
Non, il y aura aussi un enjeu de formation et de prévention : comment mieux repérer les situations à risques pour les désamorcer. Il y aura aussi un volet sécuritaire afin de travailler à l'amélioration des dispositifs d’alerte pour les professionnels de santé. Cela peut passer par des systèmes d’alarme silencieuse pour les médecins isolés ou par de la vidéosurveillance. Il faudra réfléchir à la sûreté bâtimentaire ou à l’installation de personnel de sécurité. En ville malheureusement, certaines maisons médicales de garde ont déjà été obligées de se doter de vigiles le soir à partir de 20 heures afin de dissuader les agresseurs et de rassurer les professionnels qui y exercent.
Chez SOS Médecins, lors de nos visites à domicile, nous avons mis en place la géolocalisation pour que notre centre d’appels sache à tout moment où nous nous trouvons. Il existe des réflexions sur le fait de donner l’alerte sans avoir à saisir son téléphone, par exemple avec un bouton connecté dans la poche. Ce sont des choses très concrètes sur lesquelles nous allons travailler pour éviter les drames.
Le dernier aspect de la concertation vise à comprendre pourquoi les soignants sous-déclarent ces violences. Sans doute car ils banalisent les agressions ou rencontrent des difficultés à se reconnaître comme victimes. A priori, le ministère de l’Intérieur est prêt à envoyer une instruction nationale pour que les médecins puissent avoir, partout en France, des canaux prioritaires pour donner l’alerte et déposer plainte.
Les négociations en vue de la nouvelle convention médicale sont difficiles. Quels sont les enjeux prioritaires pour SOS ?
Nous sommes très inquiets car il y a une augmentation forte du niveau de contraintes, avec peu de contreparties ! C’est malheureux car ça provoque un terrible déficit d’attractivité pour la médecine générale.
Pour nous, il faudra faire un geste sur la visite à domicile, aujourd’hui facturée 35 euros en semaine. Mais une vraie visite, bien menée, dure environ une heure. Un temps durant lequel vous pourriez faire au moins trois consultations à 25 euros, soit 75 euros. Donc la visite est deux fois moins rentable qu’une consultation. Son modèle économique est totalement défavorable, c'est pourquoi nous appelons de nos vœux une revalorisation substantielle. Mais avec 1,50 euro d’augmentation du C [proposition initiale de la caisse], on se demande ce qu’il va se passer pour la visite…
Comprenez-vous la colère de vos confrères concernant l'accès direct aux paramédicaux ?
Oui. On a l’impression d'une méconnaissance du métier de généraliste. C’est méprisant mais aussi dangereux pour les patients. Avec l’accès direct sans collaboration, on prend le risque de "shunter" le médecin, sans savoir à l’avance si une consultation sera simple ou complexe. Je crains qu'il y ait des accidents. Pourtant, il faut que la collaboration ait lieu, c’est d'ailleurs le cas depuis toujours. La médecine libérale a cette capacité de s'organiser elle-même. Elle le fait volontiers au travers des CPTS [communautés professionnelles territoriales de santé] par exemple. Il faut que nous trouvions des modes de collaboration intelligents, avec des protocoles clairs, pour assurer la sécurité des patients.
En contrepartie de tarifs réévalués de consultation, la Cnam a élaboré un contrat d’engagement territorial (CET). Les généralistes de SOS seront-ils concernés ?
Clairement, le risque pour SOS Médecins est de se voir, à nouveau, écarté de tous ces dispositifs ! Le CET a été pensé pour les médecins traitants. Il n’est d'ailleurs pas illogique de vouloir valoriser le médecin traitant, c'est un travail dans la durée qui exige beaucoup d’investissement. Mais ce n’est pas forcément logique – et nous serons très vigilants sur le sujet – d’opposer les modes d'exercice des généralistes. Les soins non programmés et la médecine traitante sont deux métiers complémentaires.
Justement, certains de vos confrères critiquent votre modèle jugé « lucratif ». Que leur répondez-vous ?
Je m’inscris en faux ! Aujourd’hui, il y a une vraie menace qui pèse sur toutes les structures de soins non programmés, qui sont jugées comme opportunistes, qui ne se donneraient pas la peine de suivre les patients. Nous reconnaissons volontiers qu’il peut y avoir des structures dérégulées mais SOS médecins ne doit pas être assimilé à ces structures ! Nous revendiquons une offre de soins de qualité, pertinente car tous nos appels sont qualifiés, protocolisés et régulés. Le problème, c’est que certains syndicats entretiennent la confusion. On ne peut pas laisser passer ça .
Mais comment compte s’inscrire SOS Médecins dans la généralisation du service d’accès aux soins (SAS) universel réclamée par l’exécutif ?
Pour l’heure, l’Assurance-maladie ne veut pas reconnaître nos centres d’appels SOS comme des centres de régulation dans le cadre du SAS. La Cnam veut que le SAS soit un guichet unique, que SOS Médecins se mette à disposition du SAS sans pour autant être considéré lui-même comme un régulateur d’appel et mériter une revalorisation tarifaire. Vous pourrez donc avoir exactement le même patient qui appelle SOS Médecins en direct pour une colique néphrétique et qui contacte le SAS, avec deux tarifs différents… Ce n’est pas acceptable, c’est une ligne rouge.
La régulation des appels en amont du passage aux urgences est-elle une bonne idée ?
C’est plutôt positif pour désengorger au maximum les urgences hospitalières et mettre le bon soin au bon moment. Toutefois, la machine de régulation via les Centres 15 et les SAS est lourde, avec un volume d’appels qui risque de devenir très conséquent. Je pense qu’il ne faut pas oublier qu’un médecin régulateur derrière un téléphone n’a pas les mêmes capacités de diagnostic qu'un médecin au chevet du patient. Il ne faut pas que l’on commence à se dire que tout peut se régler par un conseil téléphonique ou par téléconsultation ! Nous serons très vigilants pour que la régulation ne devienne pas l’alpha et l’oméga de la prise en charge des patients.
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