Comme chaque année depuis 2003, l'Ordre des médecins (Cnom) établit le recensement national des incidents (agressions, violences verbales, vols, incivilités) grâce aux fiches de déclaration des praticiens, dans le cadre de son observatoire de la sécurité. Et le bilan 2022 est édifiant avec un record historique d'incidents déclarés, soit 1 244 fiches. Revue de détails.
1 244 incidents, pire année de l'histoire
C'est donc un triste bilan que révèle l'observatoire de la sécurité des médecins en 2022, réalisé sous la houlette du Cnom. Avec 1 244 déclarations identifiées, les violences de tous types contre les confrères atteignent un pic historique, très au-dessus de la moyenne annuelle établie depuis 20 ans (841 incidents) et en forte hausse sur un an (+23,3 %). Après les deux années de repli en 2019 et surtout 2020 (en raison de l'effet Covid), la remontée des agressions déjà constatée l'an passé s'accélère. Même si les médecins sont incités à déclarer de façon plus systématique les agressions qu'ils subissent, c'est environ deux fois plus que lors des années 2000, après la création de cet outil.
Pour le Dr Jean-Jacques Avrane, conseiller national et délégué à l’observatoire de la sécurité des médecins, « nous n'avons là que la face visible de l'iceberg ». « On sait que c'est très compliqué pour un médecin de faire cette déclaration quand son agresseur est son patient. Quelque part, la relation de confiance médecin patient est remise en cause », analyse l'élu ordinal.
Les généralistes en première ligne aussi face aux violences
98 % des victimes recensées sont les médecins eux-mêmes (2 % étudiants et internes). Comme toujours, les généralistes restent les principales victimes de ces violences avec une part qui s'accentue encore plus nettement par rapport aux autres spécialités. Les médecins de famille subissent ainsi 71 % des agressions (soit près de 900 généralistes agressés en 2022) alors qu'ils ne représentent que 43 % de la profession.
Hors médecine générale, les spécialistes les plus exposés sont les psychiatres (46 incidents, 4 % des déclarations) et les cardiologues (37 fiches, 3 %) devant les gynécologues-obstétriciens, les ophtalmologues et les médecins du travail (2 % chacun). Radiologues, anesthésistes, pédiatres et rhumatologues affichent une quinzaine d'incidents pour chacune de ces spécialités. De nombreuses autres ne sont touchées que de façon marginale (une seule déclaration de violence en orthopédie, anatomie/pathologie, échographie, néphrologie, chirurgie de la main, gériatrie ou angiologie).
Vols, d'abord les ordonnances
Les agressions verbales – menaces et injures – représentent environ les deux tiers des violences (environ 900 signalements), loin devant les agressions physiques, les vols ou tentatives de vols et les actes de vandalisme.
L'observatoire de la sécurité s'est intéressé en 2022 à l'objet des vols déclarés par les médecins. Sans surprise, les principales cibles identifiées sont les ordonnanciers (31 cas, 3 % des agressions), les sacs/portefeuilles (23 cas), les cartes et les tampons professionnels (19 et 16). Viennent ensuite l'argent liquide, le véhicule et le matériel informatique.
Plus de la moitié des incidents en ville
En matière de localisation des incidents, le milieu urbain et les centres-villes restent majoritaires (56 % des agressions rapportées), loin de devant le secteur rural (21 % des violences) et les banlieues (19 %). Depuis 2019, la part des incidents à la campagne se situe autour de 20 %, soit un incident sur cinq (alors que cette part était plutôt de 15 % lors de la première décennie de l'observatoire).
Reproches et refus de prescription en tête
L'analyse des motifs des incidents permet d'appréhender finement le contexte de ces violences – avec des raisons qui se concentrent fortement sur la relation directe au médecin et l'exigence accrue de la patientèle, témoignant de la dureté de l'exercice. Ainsi le tiers des violences concernent des « reproches » autour d'une prise en charge (405 cas), devant les refus de prescription d'arrêt de travail ou de médicament (249 cas, 20 %), la falsification de documents (11 %) et le temps d'attente « jugé excessif » (10 % des cas !). Le motif d’incident « antivax » ressort dans 1 % des déclarations contre 2 % l'an passé.
Le degré de gravité des agressions est stable puisque 6 % des incidents (74 cas) ont occasionné une interruption de travail (comme l'an passé) – dans la moitié des cas inférieure à trois jours. Neuf agressions rapportées ont occasionné un arrêt supérieur à une semaine.
Enfin, les statistiques sur les suites données à ces incidents confirment que moins du tiers des confrères portent plainte (31 %) et seuls 8 % déposent une main courante. Les conseils départementaux disposent pourtant d’un référent sécurité, capable de conseiller le médecin agressé.
Publié ce mardi, l'observatoire sur les violences dont sont victimes les médecins fait un triste écho à l’actualité et prend un relief particulier. Ce même jour, une infirmière de 37 ans est morte à la suite d’une agression au couteau, au CHU de Reims, lors de laquelle une secrétaire médicale a également été gravement blessée.
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