L’AFFAIRE SOUMISE à la Cour européenne de justice (CEJ) de Luxembourg trouve son origine en 2006, dans le sud est de l’Angleterre, lorsqu’une branche régionale du National Health Service (NHS) offrit des primes aux médecins qui acceptaient de remplacer la prescription de certaines spécialités par des génériques, suivant en cela les recommandations contenues dans un guide publié par le ministère de la santé. L’Association britannique de l’industrie pharmaceutique (ABPI) porta l’affaire devant l’Agence britannique du Médicament (MHRA), en estimant que ces « incitations » violaient la directive européenne 2001/83/ CE, dite code communautaire relatif aux médicaments humains. L’article 94 de celle-ci dispose en effet qu’ « il est interdit d’octroyer, d’offrir ou de promettre aux prescripteurs une prime, un avantage pécuniaire ou en nature, à moins que ceux-ci ne soient de valeur négligeable et n’aient pas trait à l’exercice de la médecine ou de la pharmacie ». Il ajoute que « les personnes habilitées à prescrire ne peuvent solliciter ni accepter aucune incitation pour cela ».
Un premier avis.
Toutefois, la MHRA répondit à l’ABPI (laboratoires britanniques) que l’interdiction des incitations financières ne concernait que les offres faites par des sociétés commerciales, et non par des autorités administratives. Une analyse rejetée par l’ABPI qui porta alors l’affaire devant la Haute cour de justice britannique. Celle-ci, dans l’impossibilité de répondre, demanda alors l’avis de la Cour européenne de justice dans le cadre d’une procédure dite de décision préjudicielle, c’est-à-dire une demande d’avis quant à la conformité d’un jugement avec le droit européen. Et il y a quelques jours, l’avocat général de la CJE chargé de l’affaire, le Finlandais Niilo Jääskinen, a rendu un premier avis selon lequel, bien que les motivations de l’ABPI ne concernent pas la protection de la santé mais uniquement celle de ses intérêts financiers, les incitations en question posent effectivement un problème légal, surtout lorsqu’elles concernent le remplacement de produits spécifiquement désignés par d’autres produits.
Juridiquement, les avis des avocats généraux n’engagent pas la Cour européenne, qui se prononce en moyenne trois à six mois après sur les affaires concernées. Néanmoins, la Cour suit ces avis dans 8 cas sur 10 environ, ce qui signifie que les incitations financières aux prescriptions de génériques pourraient être prochainement déclarées illégales. Le jugement devra toutefois préciser clairement quels mécanismes d’incitation sont concernés ; car il en existe beaucoup en Angleterre mais aussi dans d’autres pays, avec par exemple des primes, mais aussi des « points » qu’il faut accumuler sur une certaine période ou, comme en Allemagne, des systèmes de « bonus-malus » pour les prescriptions.
L’ABPI s’est déclarée satisfaite de cet avis « qui va dans l’intérêt des patients » et attend sereinement le jugement de la Cour… Une sérénité que l’on ne retrouve vraisemblablement pas au sein des organismes de Sécurité sociale de plusieurs pays européens - dont la France (lire ci-dessous) - car ces pays pourraient être contraints de revoir ce volet important de leur dispositif de maîtrise des dépenses pharmaceutiques.
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