Malgré les moyens alloués (près de 1,3 milliard d’euros par an) et l'implication des différentes catégories de personnels — 900 médecins, 8 000 infirmiers, 3 000 assistants sociaux, 7 000 psychologues — la politique de santé scolaire « ne parvient pas à atteindre les objectifs qui lui sont assignés », déplore le député Robin Reda (Renaissance), auteur d’un rapport d'information détaillé sur la médecine scolaire, dont « Le Quotidien » a eu connaissance.
Marqueur très significatif de cette « performance dégradée », selon l'élu de l'Essonne : « la non-réalisation systématique des dépistages médicaux et infirmiers obligatoires ». Ainsi, le bilan infirmier de la douzième année connaît un taux de réalisation « autour de 60 % », tandis que la visite médicale obligatoire de la sixième année n’est réalisée « que pour 20 % des élèves », précise le rapport. Celui-ci pointe aussi la « grande difficulté » à orienter les élèves les plus fragiles vers des professionnels compétents extérieurs à l'Éducation nationale, au sein de la médecine de ville (médecin traitant, ophtalmologiste, orthophoniste, pédopsychiatre, psychologue, etc.).
Pénurie chronique
Si la politique de santé scolaire n’est pas à la hauteur des besoins, c’est d'abord à cause d’un manque de personnels. Le diagnostic ne date pas d’hier : depuis de nombreuses années, les services de santé scolaire connaissent des difficultés de recrutement « marquées et pérennes » alors que leurs missions, elles, s'étoffent (prévention et repérage précoce, accompagnement des élèves à besoins particuliers et actions collectives d'éducation à la santé).
C’est particulièrement le cas pour les médecins scolaires dont le nombre a diminué de 20 % en dix ans. Malgré les postes ouverts, peu candidats se présentent au concours (0,6 postulant par poste), tandis que le taux de couverture des postes ouverts par les admis était à peine supérieur à 50 % en 2021, ce qui aboutit à 300 postes vacants. Et l'âge moyen des praticiens titulaires s'élève à 55 ans. Dans ce contexte, la moyenne nationale s'établit à « 12 800 élèves par médecin (ETP)», avec de très fortes disparités territoriales (99 370 élèves par médecin en Dordogne !), rendant impossible la réalisation des missions, au demeurant trop disparates.
Statut, rémunération, rien ne va
Cette démographie médicale en souffrance s'explique à la fois par la « désaffection de longue date des étudiants en santé pour les disciplines relevant de la médecine de prévention », la dégradation des conditions de travail et le niveau de rémunération mensuelle totale encore « trop faible » des médecins de l'Éducation nationale (de 3 000 à 5 900 euros — incluant part indiciaire et indemnités), y compris par rapport à d'autres praticiens fonctionnaires (comme les médecins inspecteurs de santé publique).
Côté gouvernance, le pilotage de la politique de santé scolaire est carrément « défaillant ». L’Éducation nationale « ne dispose pas de données consolidées et complètes ni sur le travail fourni par les différents personnels médico-sociaux », ni sur les problématiques de santé identifiées chez les élèves. Quant aux quatre professions impliquées (médecins, infirmiers, assistants sociaux et psychologues), elles relèvent « d’autorités hiérarchiques et fonctionnelles différentes » et « de lignes budgétaires réparties sur plusieurs programmes (...) », épingle le rapport, qui critique cette gestion en silo.
De véritables médecins spécialistes en santé publique
Sur ces bases, Robin Reda propose de faire évoluer le statut et la rémunération des médecins scolaires « pour qu’ils deviennent de véritables médecins de santé publique ». Il suggère aussi de « traduire dans la rémunération des infirmiers scolaires l’élargissement de leurs missions » mais aussi leur implication auprès des enfants en situation de handicap. Une évolution financière et statutaire saluée par la Dr Patricia Colson, secrétaire générale du Syndicat national des médecins de santé publique de l'Éducation nationale (Snamspen/Sgen-CFDT), pour qui les médecins scolaires qui « gagnent la moitié du salaire des PH » doivent être revalorisés.
Pour faciliter l'intervention des services de santé scolaire, Robin Reda recommande aussi de « faire connaître les missions des personnels médico-sociaux » auprès des enseignants et des personnels de vie scolaire. Objectif : les aider à trouver des relais en cas de difficultés avec un élève mais aussi développer certains modes de prise en charge plus rapides comme la téléconsultation.
Le rapport invite aussi à « mettre l’accent sur la santé psychique des élèves à tous les âges », en renforçant l'attractivité du métier de psychologue et en « recentrant leurs missions sur le soutien psychologique ». Une mesure qui irait, là encore, dans le bon sens, estime la Dr Patricia Colson. De fait, explique-t-elle, les médecins ont « beaucoup de consultations pour des refus scolaires anxieux », notamment depuis la crise sanitaire. Encore faut-il que « l’exercice de la psychologie à l’école soit attractif », prévient de son côté le syndicat des enseignants de l’Unsa.
Des liens avec les CPTS
Aujourd'hui peu développée, la coordination entre la santé scolaire et le secteur libéral fait l'objet de plusieurs propositions. Robin Reda recommande un meilleure partage d'informations entre la médecine scolaire, la médecine de ville et la PMI (grâce à la dématérialisation progressive du carnet de santé l'enfant dans l'appli Mon espace santé et à l'interopérabilité des logiciels professionnels). Il convient aussi de développer des liens « systématiques » entre médecine scolaire et communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour orienter les élèves repérés à l'école vers des parcours de soins adaptés.
Enfin, le rapport propose de sensibiliser directement les directeurs académiques à la santé scolaire, afin de « s’assurer d’un pilotage resserré des moyens budgétaires et humains alloués à ces services ». Des moyens qui, regrette la Dr Colson, ne sont en effet « jamais fléchés en direction des professionnels ».
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