L’URGENCE reste une notion juridique floue et les exceptions qui lui sont attachées sont rarement précisées. Dans les faits, la jurisprudence penche en faveur des patients, en particulier depuis la loi Kouchner de 2002. Deux avocats invités à la journée scientifique sur l’Urgence, organisée par l’association de prévention du risque opératoire et la société française de médecine des Armées, ont fait le point sur l’implication grandissante de la responsabilité du médecin.
C’est le cas dès l’appel d’un urgentiste. Le professionnel, rattaché obligatoirement à un service d’urgence, peut être mis en cause en cas d’accident même s’il n’est qu’indirectement concerné. « L’établissement est responsable de l’organisation, mais s’il est prouvé que la défaillance est structurelle, le médecin peut être reconnu responsable parce qu’il n’a rien fait pour la réparer », explique Me Georges Lacoeuilhe, avocat au bureau de Paris. Les médecins de garde ou d’astreinte sont particulièrement exposés. Leur présence est exigée lors d’une garde, et en cas d’astreinte, le praticien ne doit pas se trouver à plus de 15 minutes de délai. « Les expertises sont particulièrement pointilleuses à ce sujet et intègrent les relevés des opérateurs téléphoniques : cinq minutes de retard peuvent faire tomber la responsabilité », précise Me Lacoeuilhe.
De même, la jurisprudence est extrêmement sévère lorsqu’un médecin ne s’est pas déplacé. La loi exige qu’il doive se rendre sur place « chaque fois que cela est nécessaire ». Concrètement, des gynécologues-obstétriciens ont été condamnés sur le constat que la sage-femme les avait appelés plus d’une fois.
L’urgentiste doit être très soucieux du suivi de l’urgence. S’il oriente un appel vers d’autres secours car il n’est pas d’astreinte, il doit s’assurer que ces derniers ont pris le relais. Idem lorsqu’il transfère un patient à un spécialiste. Les relevés téléphoniques montreront, lors d’un procès, s’il s’est assuré de la bonne prise en charge du malade.
De l’obligation d’informer.
La responsabilité du médecin est pleinement engagée lors des soins en situation d’urgence. La question du consentement éclairé est ici cruciale. « Par définition, cette notion qui oblige le médecin à informer le patient s’oppose à celle d’urgence. Pourtant, elle est indispensable pour qu’une personne accepte de se faire opérer », analyse Me Véronique Estève, avocate au barreau de Nice. Et le flou des textes juridiques, qui préfèrent à la notion d’urgence celles d’impossibilité ou de refus pour justifier une exception, n’est pas pour protéger les médecins.
Jusqu’où doivent-ils informer ? Me Estève distingue trois situations. Si le patient est inconscient, l’information est impossible. Le médecin doit consulter les proches, mais le cas échéant il agit selon sa propre conscience. Il ne peut lui être reproché un défaut d’information.
La situation se complique en cas d’urgence vitale. Le consentement peut être présumé, lorsque le temps de l’information nuirait à celui du soin et mettrait en péril le malade. « Mais il faut être sûr que ce soit une urgence vitale : beaucoup de jugements mettent en avant une demi-urgence qui protège les patients et conclut à la responsabilité du médecin qui aurait dû informer », prévient Me Estève, tout en soulignant la difficulté d’évaluer le degré de l’urgence.
Enfin, l’urgence fonctionnelle, lorsqu’un membre est en péril, préserve rarement l’urgentiste de la condamnation dans les faits. « Il faut à tout prix s’efforcer de donner l’information la plus exhaustive possible, car la jurisprudence considère que son absence constitue une atteinte à la dignité de la personne », préconise Me Estève. Autant de principes qui heurtent parfois l’intuition. Faut-il tout dire à un patient gravement malade ? La confiance entre médecin et malade peut-elle dispenser de communiquer une réalité trop douloureuse ? Pour Me Georges Lacoeuilhe, la vigilance doit être le maître mot des urgentistes.
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