Après le bras de fer avec les généralistes – autour du tarif des consultations – c'est un autre front qui s'ouvre pour l'Assurance-maladie dans le cadre des négociations conventionnelles, cette fois avec les praticiens de bloc opératoire au premier rang desquels les chirurgiens libéraux (le privé lucratif assumant 55 % de l'activité chirurgicale).
Ce jeudi, l'Union des chirurgiens de France (UCDF, organisation majoritaire qui regroupe l'ensemble des spécialités chirurgicales, membre fondateur du syndicat Le Bloc en 2010 et de l'alliance Avenir Spé-Le Bloc en 2022) a alerté sur la situation « critique » de la chirurgie, secteur impacté par la crise sanitaire et qui subit surtout un effet ciseaux entre la forte hausse des charges et le blocage de la nomenclature des tarifs chirurgicaux.
Coût de la pratique figé depuis 2005
Alors que la pandémie a laissé des traces sur le chiffre d'affaires (« on n'a toujours pas retrouvé les chiffres de 2019 »), le Dr Philippe Cuq, président de l'UCDF, a appelé de ses vœux un plan « d'urgence » de valorisation de l'exercice chirurgical. À défaut, menace-t-il, l'ensemble des chirurgiens libéraux pourraient reprendre leur liberté d'honoraires en quittant les contrats de modération tarifaire (Optam-co, option choisie par la moitié des chirurgiens éligibles) pour retrouver le secteur II classique avec à la clé une « augmentation des tarifs chirurgicaux en 2023 et donc du reste à charge pour les patients ».
L'UCDF met en avant la croissance « indiscutable » du coût de l'exercice chirurgical, un angle mort des négociations depuis des années. « Nous faisons face à une inflation continue des coûts – charges salariales, RCP, redevances, matériel, énergie, a énuméré le Dr Cuq. À chaque fois, c'est +5 %, +10… En face, on subit des tarifs bloqués souvent depuis 2005, voire depuis les années quatre-vingt-dix. C'est intenable. »
Dans ce contexte, les perspectives lointaines (2024, voire 2025) de refonte de la CCAM technique (suppression des actes obsolètes, inscription des actes innovants, nouvelle hiérarchisation) grâce au travail du Haut conseil des nomenclatures (HCN), ne rassurent pas les chirurgiens des cliniques. « Il y a une inertie de la technostructure qui ne correspond absolument pas à la réalité de l'évolution de l'exercice chirurgical », martèle le Dr Cuq, qui cite des « interventions à 100 euros », des « anesthésies à 46 euros » mais, à l'inverse, des consommables robotiques « à 1 000 euros par intervention »...
Optam, un marché de dupes ?
De surcroît, les chirurgiens libéraux accusent ouvertement les complémentaires santé, réunis au sein de l'Unocam, de ne « pas avoir joué le jeu » – ou pas suffisamment – lors de la mise en place des options de pratique tarifaire maîtrisée (Optam et Optam-co pour les chirurgiens et obstétriciens), lors de la convention de 2016. « Nous subissons toujours un déficit historique dans le remboursement des compléments d'honoraires chirurgicaux par les complémentaires santé », résume le Dr Cuq.
À l’époque, le deal de ces contrats de modération tarifaire consistait à augmenter les tarifs opposables côté Sécu, à modérer les compléments d'honoraires côté praticiens (respect d'un taux moyen de dépassement, part opposable minimum) et à mieux rembourser le reste à charge côté complémentaires. Mais pour l'UCDF, « l'Unocam n'a pas été un partenaire fiable et n'a pas rempli son rôle ». Et le plafonnement des remboursements des dépassements dans le cadre des contrats complémentaires dits responsables (aidés fiscalement) a contribué à ce « carcan » des tarifs chirurgicaux.
Accord tripartite ?
Sur ces bases, l'UCDF réclame un nouvel « accord tripartite » qui engagerait la profession et les deux « financeurs » (régime obligatoire et complémentaires santé) pour solvabiliser les tarifs chirurgicaux réévalués de façon à « assurer le bon fonctionnement des blocs opératoires », tout en « baissant le reste à charge en chirurgie ». « Mais qui va oser s'attaquer à la réforme des contrats responsables ? », s'interroge, dubitatif, le patron de l'UCDF.
Pour le syndicat, l'augmentation des tarifs opposables passe dans l'immédiat par la revalorisation significative des modificateurs chirurgicaux existants J (+6,5 %) et K (+20 % pour les signataires de l'Optam-co). « La Cnam a proposé d'augmenter le K de cinq points, c'est indécent, on est loin du compte », balaie le Dr Cuq qui répète la menace à défaut d'issue favorable : « Le risque, c'est que tous les chirurgiens quittent l'Optam-co et basculent en secteur II pour augmenter leurs tarifs ». L'UCDF juge aussi indispensable de valoriser les astreintes, les gardes, le travail nocturne et la pénibilité, autant de sujets très prégnants au bloc opératoire. Dans ce contexte, la rallonge budgétaire accordée aux soins de ville pour 2023, dans le cadre du projet de loi sur les retraites (+150 millions d'euros), serait « largement insuffisante ».
Comme les autres syndicats, l'UCDF dénonce par ailleurs le parasitage des négociations conventionnelles par les interventions politiques et parlementaires, comme la proposition de loi Rist sur les accès directs. « C'est désespérant, résume le Dr Cuq. C'est pourquoi nous participerons symboliquement à la mobilisation du 14 février, même si on ne peut pas stopper l'activité opératoire ».
Au bloc, beaucoup d'autres problématiques
Outre la question strictement tarifaire, l'UCDF a mis en avant ce jeudi plusieurs sujets qui compliquent l'exercice chirurgical et assombrissent l'horizon : la « démographie préoccupante » des anesthésistes, les conséquences des fermetures de lits et des salles d'opération, la gestion des équipes opératoires (y compris le décret Ibode), l'apparition de listes d'attente, les pénuries de médicaments, les ruptures de stock de matériel et de dispositifs médicaux ou encore les relations avec les établissements et le contrat d'exercice.
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