Pour combattre la pénurie médicale, de nombreux maires prennent le taureau par les cornes. Du salariat direct dans des centres municipaux aux opérations symboliques, ils ont multiplié ces dernières années les initiatives pour attirer et fidéliser les médecins. Parfois avec succès.
Quand la désertification pointe sur un territoire, les maires sont en première ligne face à leurs administrés mécontents de ne plus avoir de médecin traitant. Depuis six ans, des dizaines d'édiles se sont retroussés les manches pour dénicher les perles rares. Tour d'horizon.
Le salariat sinon rien !
Salarier des médecins semble être une recette qui fonctionne. Des rémunérations de 5000, 6 000 voire 7 000 euros net par mois, des horaires fixes, peu ou pas de contraintes administratives ni de secrétaire à embaucher : le modèle attire un nombre croissant de médecins, souvent en fin de carrière, ou plus simplement en quête de simplicité.
À Marolles-les-Braults (Sarthe), le maire a placé la barre très haute pour faire venir deux médecins dans la maison médicale : 8 000 euros brut par mois. La stratégie a payé, puisqu'une généraliste prendra ses fonctions le 1er avril, tandis qu'une seconde devrait arriver début juin. Dans la presse locale, le maire expliquait que chaque médecin devrait ramener à la mairie « 14 000 euros par mois à raison de quatre consultations par heure, soit 100 euros de l'heure et 3 500 euros par semaine ».
Dans la préfecture de la Corrèze, à Tulle, où près de 1 800 personnes seraient sans médecin traitant, trois généralistes et deux secrétaires ont été embauchés dans une maison médicale flambant neuve. Depuis avril 2019, la commune diffusait largement une offre d'emploi où elle vantait sa qualité de vie et proposait une rémunération de 5 000 euros net par mois, pour 39 heures de travail hebdomadaires.
À Saint-Pierre-des-Corps, près de Tours, une médecin a été embauchée dans le centre de santé municipal, sous le statut d'agent territorial. La ville la rémunère 80 000 euros brut par an, et perçoit en échange les honoraires remboursés par la Sécurité sociale. La mairie étudiait la possibilité de créer un second poste salarié.
Sur les seules deux dernières années, plusieurs dizaines de petites ou moyennes communes ont proposé des postes de médecin salarié au sein de centres de santé municipaux.
Bourses et loyers : objectif « jeunes »
Pour ancrer les médecins juniors sur leur territoire, l'octroi de bourses attractives a convaincu de nombreux édiles. Martine Voidey, maire de Voujeaucourt (3 000 habitants), dans le Doubs, a choisi d'attribuer 6 000 euros par an à tout étudiant en médecine dès la cinquième année, jusqu'à la fin des études. En contrepartie, le carabin s'engage à s'installer dans la commune pendant une durée équivalente à celle du versement de la bourse. Cette offre a convaincu un interne de médecine générale, Arthur Poirat, 26 ans. En tout début d'internat, il a signé sa convention fin août et devra s'installer dans la commune fin 2022.
À Morteau (7 200 habitants), le maire a anticipé les départs et misé sur un hébergement à coût attractif pour séduire les jeunes. Il a investi 700 000 euros dans la rénovation d'un immeuble de 2 studios et 4 chambres. « Notre souhait est d’accompagner les internes mais aussi de maintenir les jeunes sur le territoire pendant la période de stage et leur faire découvrir. L'hébergement leur coûtera quelques euros par nuit », confie Cédric Bôle, maire de Morteau. La mairie souhaite ouvrir cet hébergement aux remplaçants et aux spécialistes.
En région parisienne, la question du logement préoccupe particulièrement les maires en raison du caractère dissuasif des coûts de location ou d'achat d'un cabinet. Partant de ce constat, la ville de Fontenay-aux-Roses a créé un « cabinet passerelle », qui permet à un jeune médecin de s'installer dans un local mis à disposition gratuitement pendant deux ans afin de créer sa patientèle. En échange, le jeune médecin s'engage à rester trois ans sur place et à travailler une soirée par semaine et un samedi après-midi sur deux. L'objectif est que ce jeune médecin puisse prendre au bout de deux ans la succession d'un médecin qui part à la retraite, explique la mairie.
Maires bâtisseurs
Maisons de santé rutilantes, immeubles rénovés… Les maires ont misé sur le bâti pour favoriser le regroupement des professionnels de santé. Certains n’hésitent pas à investir des sommes considérables pour faire sortir de terre des structures confortables pour l'exercice collectif. C’est le cas de la petite commune de Sizun (Finistère), 2 343 habitants, qui a déboursé 1,2 million d’euros pour une maison de santé de 600 m2. Ouverte en octobre 2019, la structure est déjà bien remplie avec deux généralistes, sept infirmiers, une sage-femme, une ostéopathe et une ergothérapeute. Un troisième médecin devrait s’y installer et il reste une quatrième place.
En Eure-et-Loir, la commune de Maintenon (4 400 habitants) a décidé de construire en 2015 une maison de santé pluridisciplinaire pour un coût de 1,9 million d’euros. Aujourd’hui, elle abrite 15 professionnels de santé dont trois omnipraticiens. « Nous avons réussi à maintenir les médecins généralistes dans la commune mais pas à en attirer de nouveaux, regrette Daniel Jodeau, premier adjoint au maire. Nous pouvons en accueillir encore deux autres mais cela ne se bouscule pas au portillon ».
L’année dernière, la ville de Pontarlier (Doubs) s’est illustrée en créant un « cabinet éphémère » permettant à six généralistes de se relayer pour assurer des permanences à tour de rôle. Ce dispositif se voulait transitoire, le temps de la construction d'une maison de santé de 1 500 m2 qui a vu le jour en juillet 2019. « Avec ces initiatives, nous avons réussi à faire venir quatre jeunes médecins », se félicite le maire Patrick Genre.
Vidéos et interdiction de mourir le week-end !
Certaines mairies, souvent en désespoir de cause, délaissent les mesures financières et prennent des mesures originales – voire loufoques – pour se faire connaître. L'édile de La Gresle (Loire) a interdit à ses administrés (par arrêté) de mourir le week-end pour alerter sur la pénurie de médecins. Et dans la Sarthe, neuf maires viennent de prendre la même initiative symbolique... interdisant carrément de tomber malade afin de dénoncer la situation « catastrophique de l'accès aux soins ».
D'autres se sentent l'âme de cinéastes en herbe et passent à la réalisation de vidéos. À Landudec (Finistère), le shakespearien « Toubib or not toubib » n'a pas réussi à faire venir de médecin, mais une maison médicale a finalement ouvert à quelques km.
Dans la Manche, à Mortain-Bocage, le maire s’était lui-même mis en scène en janvier 2019, interpellant les médecins pour les faire venir dans le village. Un an plus tard, un praticien est en passe de s'installer. « Cela devrait se faire en mai-juin. Nous mettons à disposition un logement pendant un an, et six mois de loyer professionnel », précise le maire Hervé Desserouer.
Du côté de Plédran (Côtes-d'Armor), le « mannequin challenge » filmé fin 2016 au son d'un groupe de hip-hop américain a porté ses fruits. « Un généraliste est arrivé en septembre dernier. Cela demandé du temps et du travail, mais les habitants sont contents », indique Stéphane Briend. Mais cet équilibre reste fragile : un autre médecin de la commune partira à la retraite cette année.