LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : L'Ordre national (CNOM) a fait appel de dix affaires jugées en première instance par votre chambre disciplinaire (CDPI) à propos de l'homéopathie – plusieurs médecins anti-Fakemed ayant été condamnés pour non-confraternité. Il met en cause la composition du jury le jour de l'audience. Avez-vous été surpris ?
DR PIERRE-YVES DEVYS : Non. L'Ordre national est dans son droit et même son devoir. La CDPI est une instance indépendante chargée d'examiner les plaintes pour fautes déontologiques supposées. Elle est présidée par un magistrat administratif et assistée par des médecins assesseurs. En raison de la séparation des pouvoirs entre les missions administratives et les fonctions disciplinaires, je ne peux pas intervenir sur le travail de la CDPI et contrôler la composition de la formation de jugement.
Néanmoins, en fonction des dossiers traités, tout assesseur doit se retirer s'il y a le moindre risque de conflit d'intérêts. L'assesseur doit se récuser si le dossier émane de son département. Il doit aussi le faire quand il connaît un des médecins mis en cause, le témoin ou encore le plaignant.
Mais en l'espèce, un des assesseurs avait une formation d'homéopathie pour juger des confrères anti-homéopathie !
Je ne connais pas la composition de la formation de jugement ce jour-là. Mais en faisant appel, le CNOM a probablement des éléments pour considérer qu'un des assesseurs n'aurait pas dû siéger. Je le redis : chaque assesseur doit s'apercevoir individuellement du risque de conflit d’intérêts et donc se récuser. Le conseil national a dicté une charte de déontologie fixant les règles d'incompatibilité et des recommandations de déport. Globalement, c'est respecté.
Après le rapport de la Cour des comptes, l'Ordre a porté plainte contre deux élus et deux anciens élus. L'ex-président du CNOM, le Dr Michel Legmann, sera poursuivi devant la CDPI d'Ile-de-France pour indemnités abusives. Quelle est votre réaction ?
Je connais bien trois des médecins mis en cause et j'ai été surpris. Je déplore cette situation qui ternit l'image de l'Ordre. Mais si ces conseillers ordinaux ont fait des abus et manqué à notre déontologie, ils doivent être jugés et condamnés.
Au-delà des dérives individuelles, la Cour des comptes pointe le laxisme disciplinaire ordinal, y compris dans le traitement de plaintes d'agressions sexuelles ou le contrôle de l’insuffisance professionnelle…
Je m'insurge contre l'insinuation de la Cour des comptes selon laquelle l'Ordre manifeste une mauvaise volonté à donner des suites aux plaintes reçues. Nous ne sommes pas là pour protéger les médecins ! Nos délais de traitement des plaintes en Ile-de-France se situent entre 12 et 15 mois, au lieu de 9 auparavant. Mais nous avons reçu aussi davantage de plaintes qui sont passées de 345 en 2017 à 414 en 2018. Quand la Cour dit qu’on n’a rien fait pour réduire les délais, c’est faux ! Le nombre d'audiences de la CDPI a augmenté – passant de 30 en 2018 à 39 audiences l'an passé et sans doute 45 en 2020. Bien sûr, on peut toujours faire mieux.
Quant au contrôle de l’insuffisance professionnelle, la loi nous impose de traiter les dossiers transmis par le conseil départemental sous deux mois. Mais il est impossible de réunir trois experts en deux mois. Nous avons demandé que ce délai soit au minimum de trois mois.
L'Ile-de-France est épinglée par le Défenseur des droits sur les refus de soins. Comment agir plus efficacement ?
Les chiffres sont du même ordre par rapport à 2018. L'an passé, la CDPI a audiencé 13 plaintes pour refus de soins. Il y a eu 11 rejets et 2 condamnations dont un avertissement et un blâme. On recense aussi 11 plaintes traitées liées spécifiquement aux bénéficiaires de la CMU ou de l'AME, ayant abouti à six rejets et cinq condamnations (dont deux avertissements et trois blâmes). Ces refus de soins ne doivent pas exister. Le CNOM a mené une communication en ce sens auprès des médecins. Les assurés doivent aussi être éduqués.
Que propose l'Ordre régional en matière d’enseignement de la déontologie ?
La commission internes et jeunes médecins de l’Ordre régional propose déjà des ateliers pratiques, « Les lundis déontologiques ». On en fait quatre par an et ça marche. Avec le Pr Bruno Riou, président de la conférence des doyens d’île de France, nous souhaitons une action commune pour l’enseignement de la déontologie à la faculté. Pour que cela soit effectif dès la rentrée 2020, nous allons d'abord former les chefs de clinique. Un atelier test a démarré.
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