LE POINT de départ est un rêve de Freud dans lequel il doit choisir entre deux voies. Un rêve que l’on peut trouver d’un symbolisme un peu trop fort. Car l’une de ces voies est la sèche philosophie et ses concepts, l’autre les innombrables chemins perdus d’une forêt troublante. Celle dans laquelle Descartes lui-même s’égare.
Les chemins sont eux-mêmes ceux de la méthode des associations libres, règle fondamentale du traitement psychanalytique. L’idée-force de l’ouvrage est de montrer comment, dans leur incohérence même, les associations vont aller toucher de proche en proche un souvenir douloureux ou, de façon proustienne, ressusciter un mot du passé. Dans un style ensorcelant, Max Dorra écrit : « Laisser aller sa rêverie, associer sans méthode, sans hâte, "librement", comme on jouait il y a bien longtemps, telle est l’unique voie, la seule façon de retrouver le temps perdu des souvenirs effacés. »
Il s’ensuit que le désordre de l’association s’oppose à la volonté de cohérence logique du discours philosophique. On glosera longtemps sur les rapports complexes de Freud avec une philosophie qu’il connaît bien (il cite souvent Schopenhauter), mais dont il refusera énergiquement la tyrannie logique.
L’autre conséquence, que le livre met en exergue au moyen de discours très cultivés et souvent humoristiques, est que la philosophie n’a pu se développer qu’en assassinant le sens et en faisant disparaître ce qui hante notre existence : l’image de notre corps.
La partie la plus savoureuse de l’ouvrage, qui, malgré son titre, parle peu des classes sociales, est la comparaison du philosophe à un illusionniste : ne fait-il pas disparaître le corps ? Kant ne feint-il pas de découvrir les catégories du réel qu’il cachait dans sa manche ?
Il faut lire ce livre, qui nous promène diaboliquement du divan à Spinoza en passant par les compartiments de la mémoire et « le mystère de la chambre jaune ».
* Éditions de l’Olivier, 184 p., 16 euros.
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