HOMME de lettres aux multiples intérêts, biographe émérite, journaliste, membre de l’académie Goncourt depuis 2012, Pierre Assouline nous transporte dans son neuvième roman à « Sigmaringen » (1), en septembre 1944. Dans cette enclave prusse du sud de l’Allemagne, jusque-là préservée et dominée par le château des Hohenzollern, affluent près de 2 000 Français qui ont fui Vichy. Dans la ville se répartissent les miliciens et les militants fascistes – on y remarque, à côté d’artistes et de journalistes, Lucien Rebatet et Louis-Ferdinand Céline – tandis que la demeure princière, réquisitionnée par Hitler, abrite le maréchal Pétain et le président Laval, leurs sbires et les ministres.
Pour les servir, une cohorte de domestiques régentés par Julius Stein, qui incarne le majordome dans toute sa splendeur, aussi efficace pour assurer le confort matériel que pour porter des messages et servir d’intermédiaire. Car dans ce huis-clos précaire, les paroles s’aiguisent, les disputes s’enveniment, les jalousies s’exacerbent. Il est l’observateur idéal de ce petit théâtre d’ombres dérisoires, qui, pendant huit mois, alors que les Alliés se rapprochent, vont se démener et croire encore en la victoire du Reich pour les uns, se morfondre et sombrer dans la léthargie pour les autres. Stein est aussi le narrateur, l’image même du dévouement mais néanmoins un homme qui saura se remettre en cause à cause d’une femme en théorie son ennemie : une jolie intrigue pour compléter le pertinent tableau d’une débâcle sordide.
Une peinture absolue.
Passionné par la peinture, Patrick Grainville a collaboré à une trentaine de livres d’art. Romancier, il s’est distingué dès 1976 en obtenant le prix Goncourt avec « les Flamboyants » et il a enrichi avec bonheur une œuvre qualifiée de baroque.
On le retrouve tout entier dans son nouveau roman, « Bison » (2), l’histoire de George Catlin (1796-1872), qui s’est pris de passion pour les Indiens d’Amérique après avoir vu à cheval une délégation de chefs en tenue d’apparat, « invités à Washington pour être exhibés et trompés une nouvelle fois ». Il ne sera ni l’avocat, ni le portraitiste mondain, ni l’époux qu’il devait être, puisqu’il a tout quitté pour aller à la rencontre des tribus le long du Missouri et du Mississippi.
Patrick Grainville a saisi son héros durant l’été 1832, lorsqu’il s’est arrêté chez le chef Aigle Rouge. Il y a peint sur le vif pas moins de 135 tableaux, qui figureront dans l’Indian Gallery qu’il créera plus tard et deviendront, comme ses autres peintures et objets rapportés, des témoignages ethnographiques uniques après que les Indiens, comme les bisons, auront été décimés.
Avec Catlin, on se fond dans le village des Sioux, on découvre leur mode de vie, leurs habitudes et leurs coutumes. Très vite, par la grâce de l’écriture colorée et des vraies-fausses histoires qui parsèment l’ouvrage, comme celle du travesti et homme-médecine Oiseau Deux Couleurs, ou celle de la captive Crow Louve Blanche, le document devient un roman captivant.
Les femmes aux premières places.
Auteur d’une dizaine de pièces de théâtre en même temps que romancier, Olivier Dutaillis met en scène, dans « la Pensionnaire du bourreau » (3), une jeune paysanne vendéenne qui débarque à Paris au mois d’avril 1789 et prend pension chez les Sanson, la célèbre lignée de bourreaux royaux. Manon gagne quelques sous en posant pour le peintre David puis tombe amoureuse d’un député aux états généraux, qui l’initie à la politique. Curieuse et intrépide, la jeune femme participe à toutes les grandes étapes de la Révolution. Sous couvert d’un récit d’aventures, l’auteur donne ainsi le point de vue féminin sur cette page d’Histoire, où les droits ont été redistribués de manière inégale entre les hommes et les femmes.
Prix Renaudot avec « Assam », Gérard de Cortanze signe, avec « l’An prochain à Grenade » (4), un roman épique traversé par les guerres, qui débute avec le massacre de 5 000 Juifs à Grenade, le 31 décembre 1066. Gâlâh échappe à la tuerie. Dépositaire d’un talisman qui lui donne une protection surnaturelle, elle traverse le temps en compagnie de son amant et devient l’incarnation du peuple séfarade pourchassé de toutes parts, à toutes les époques – jusqu’au tueur qui l’attend à Paris. Un récit d’une grande noirceur sur la difficulté à faire cohabiter les croyances religieuses, sur la naissance du mal et la persistance de la haine, sur l’absence de tolérance et de fraternité, à peine éclairé par l’amour entre une jeune fille juive et un poète musulman.
(1) Gallimard, 360 p., 21 euros.
(2) Seuil, 318 p., 20 euros.
(3) Albin Michel, 418 p., 21,50 euros.
(4) Albin Michel, 419 p., 22,50 euros.
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