Les sœurs de Freud
Âgé de 38 ans, Goce Smilevski a obtenu d’emblée une reconnaissance internationale avec « la Liste de Freud » (1), traduit en 25 langues et lauréat du prix européen pour la Littérature et du prix pour la Culture méditerranéenne. Le récit se situe à Vienne en 1938, au moment de la « réunification » de l’Allemagne et de l’Autriche. Le Dr Freud est un psychanalyste de renom. Les Juifs ont peur. Les quatre sœurs de Sigmund, Adolphine, Rosa, ainsi que Maria et Pauline, qui se sont enfuies de Berlin pour se réfugier en Autriche, demandent à leur frère d’user de son influence pour leur obtenir des visas de sortie. Il les rabroue, arguant qu’elles n’ont aucune raison de s’en faire. Et lorsque Sigmund leur apprend que finalement il part pour Londres, ses sœurs découvrent qu’il ne les a pas inscrites sur la liste des personnes qu’il désire emmener et donc sauver. N’y figurent que sa femme et ses enfants, sa belle-sœur, ses deux femmes de ménage, son médecin personnel et sa famille, et son petit chien Jo Fi. Déportées, les quatre femmes mourront au camp de Terezin.
C’est Adolphine, la cadette, qui raconte. Le livre s’ouvre sur la découverte effarante de cette liste mais la narratrice remonte le temps depuis ses jeunes années, de l’enfant mal aimée par sa mère à la femme condamnée à la solitude après un amour déçu, dont la vie fut marquée par ses rencontres avec Otla Kafka et Klara Klimt, sacrifiées comme elle sur l’autel de la célébrité de leur frère.
Le roman nous plonge dans l’effervescence artistique et culturelle de la Vienne du début du XXe siècle, dans les méandres d’une famille qui a eu ses laissés-pour-compte et, en nous emmenant aux confins de la dépression et de la folie, il donne à voir un père de la psychanalyse inattendu.
Avec les soldats en Afghanistan
Docteur en physique théorique, Paolo Giordano avait 25 ans lorsqu’est paru « la Solitude des nombres premiers », best-seller international qui a raflé les plus grands prix littéraires italiens et qui est devenu un film. Son deuxième roman, « le Corps humain » (2), est d’une tout autre trempe et nous confronte au peloton Charlie, envoyé en « mission de paix » dans une vallée désertique de l’Afghanistan.
Le thème n’est pas nouveau qui montre des hommes, et quelques femmes, venus de tous les horizons, obligés de vivre ensemble dans des conditions particulièrement difficiles de chaleur et de poussière, de désœuvrement, d’exercices physiques harassants et de tension extrême. Les conditions idéales pour que ressortent le meilleur et, plus souvent, le pire.
L’auteur distingue quelques personnages et les décrit non seulement dans leurs oripeaux de soldats mais dans leur histoire familiale. Parmi ceux-ci, le médecin de la garnison, le lieutenant Alessandro Egitto, qui vient de rempiler après avoir eu une relation équivoque avec sa sœur et qui prend des antidépresseurs. Puis arrive le moment attendu et redouté, du combat. L’expédition tourne à la catastrophe.
Dans ce livre où les conflits intérieurs sont tout aussi dévastateurs que le conflit armé, le corps occupe une place importante. Il peut s’agir du corps expéditionnaire, de ce groupe qui, malgré les disparités et les inimitiés, reste soudé. Ou des corps des hommes soumis à de rudes épreuves, à la merci du climat, des désirs sexuels, des corps meurtris par les maladies, voire à jamais marqués par la guerre.
Mésentente cordiale
« Dans la maison de l’autre » (3) est le troisième roman de Rhidian Brook, écrivain et scénariste pour la télévision britannique, déjà couronné par le prestigieux Somerset Maugham Award et traduit pour la première fois en français.
En 1946, un colonel de l’armée britannique est envoyé à Hambourg afin de superviser les opérations de dénazification de la population. Il s’installe, avec sa femme et leur dernier fils encore en vie, dans une belle demeure réquisitionnée sur les bords de l’Elbe, mais refuse de mettre à la porte les anciens propriétaires allemands, un veuf et sa fille, élevée dans les rangs des jeunesses hitlériennes.
Sur un arrière-plan particulièrement documenté de ruines et de misère, l’auteur imagine une situation a priori explosive entre vainqueurs et vaincus, qui ont en commun une haine refoulée mais aussi des blessures identiques – et peut-être l’envie de regarder l’ennemi autrement. Un roman émouvant, qui donne à réfléchir sur la culpabilité et le pardon.
Une chasse au trésor et à l’Histoire
Dans le nouveau livre de l’écrivain franco-turc Metin Arditi (« Le Turquetto »), la guerre est intestine. « La Confrérie des moines volants » (4) débute en 1937 lorsque Staline lance une nouvelle grande campagne de pillage et de destruction des trésors de l’Eglise russe, assortie de l’exécution de centaines de milliers de religieux orthodoxes. Les faits sont atroces, mais l’auteur a le bon goût d’aborder cette réalité historique à travers la petite histoire. Il en résulte un récit rocambolesque et néanmoins authentique.
L’histoire est celle du moine Nikodime Kirilenko, grand pécheur et dévot, qui réunit autour de lui, sous le nom de Confrérie des moines volants, d’autres fous de Dieu, afin de résister aux bolcheviks. Il va ainsi sauver 42 chefs-d’œuvre de l’art sacré, les dissimuler dans un endroit connu de lui seul, qu’il consigne dans un carnet. Tombé aux mains du pouvoir et torturé, il ne révélera pas le lieu de la cachette.
Le trésor est-il perdu ? Non pas. Car Nikodime a eu un fils avec la belle Irina, lequel a grandi en France et s’est éteint en laissant à son fils le fameux carnet secret. Deux générations ont passé, on est en 2000 et Metin Arditi nous entraîne dans une deuxième chasse au trésor dans la Russie d’aujourd’hui et le Moscou des milliardaires et des galeries d’art. L’aventure continue.
(1) Belfond, 273 p., 20,50 euros.
(2) Seuil, 415 p., 22 euros.
(3) Fleuve Noir, 331 p., 19,90 euros.
(4) Grasset, 346 p., 19 euros.
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