« J'aurais voulu être français »

Sorman et Sormann, pourquoi tant de « n » ?

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Publié le 21/11/2016
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Idées-Sorman

Idées-Sorman

« Écrire interdit d'oublier », dit l'auteur au début de l'un de ses premiers chapitres, retours vers une famille juive fracassée par l'Histoire avec une grande hache. Guy Sorman reconstruit patiemment le puzzle agité de la vie de son père. On part donc de Varsovie avec ce fils d'un loueur de chevaux, la fuite en 1916 pour éviter l'enrôlement dans l'armée russe, Kassel, qu'il quitte pour Paris pour échapper aux hordes nazies, l'exode en 1940 (malgré le célèbre « heureux comme Dieu en France »), Nérac, village du Lot-et-Garonne, retour vers Le Pecq, en région parisienne, puis échouage à Sartrouville. L'auteur, adolescent à ce moment, décrit une banlieue mi-campagne mi-zone, livrée à la fin de la guerre à un tout-puissant Parti communiste.

Au travers de cette fuite incessante surgissent des figures comme la tante Lotte Grunspan, exigeant de voyager gratis dans le train au vu de son bras tatoué, ou l'oncle Simon, retrouvé sur une photo, livré aux nazis, reconduit à la frontière allemande sur ordre du gouvernement Daladier, issu du Front populaire.

Nous avons mentionné le nom Grunspan. L'histoire lui a gardé son « y ». C'est Herschel Grynspan qui, à 16 ans, abattit à Paris le secrétaire d'État Ernst von Rath, donnant prétexte au déclenchement de la Nuit de cristal en Allemagne. Pour qui appartient au « peuple élu », mais souvent en ballottage, comme disait Tristan Bernard, le nom en lui-même symbolise un parcours souvent dramatique. Tel juif un moment Gutfeld deviendra Monsieur Bonchamp en France puis Mr. Goodfield aux États-Unis.

Enfant d'apatrides, l'auteur et sujet de ce livre, en plus (nous devrions dire « en moins »), ne figure pas sur l'acte de nationalité de ses parents. C'est un maquis courtelino-kafkaien que va traverser Guy Sormann, longtemps affublé d'un « n » supplémentaire, maquis dont le sortira heureusement Georges Kiejman.

Pour qui a un tant soit peu le goût du malheur, la seconde partie du texte semble un peu fade. Devenu « en plus » citoyen américain, prophète reconnu du libéralisme, même s'il s'en défend, marié à une très sage chrétienne, Guy Sorman n'oublie jamais de se situer comme enfant de survivants d'une Shoah qu'il n'a pas connue.

Grasset, 304 p., 19 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9536