De cette petite ville prospère sur les hauteurs de Malatya, il ne reste plus rien. La plupart des immeubles sont effondrés, ceux qui restent – fissurés ou éventrés – sont beaucoup trop dangereux pour s’y aventurer. Le paysage est partout désolant, à près de 150 km de l’épicentre du séisme.
Ici, se dresse une télévision posée contre un mur désormais inexistant. Un peu plus loin, surgissent deux lits jumeaux – probablement d’enfants – qui reposent sur plusieurs mètres de béton. La plupart des habitants – ceux qui n’ont pu se réfugier ailleurs – résident désormais dans des tentes. À la périphérie de la ville, le petit hôpital tourne à plein régime. Un abri de fortune a été installée pour parer au plus urgent.
Travail sans fin
Emre a été chargé des premiers secours. Ce médecin de famille à Istanbul a sauté dans un avion dès que la nouvelle du séisme a été connue. « Ici, il y a énormément de dégâts, mais heureusement les immeubles n’étaient pas hauts et il est plus facile de déblayer, explique-t-il, au milieu des empilements de cartons, de médicaments et de pommades. Nous avons commencé à distribuer de l’aide. Des toilettes et des douches mobiles vont être installées, des pharmaciens envoient des sacs de médicaments. Ici, nous distribuons surtout des analgésiques, des médicaments contre la grippe, la toux, des antibiotiques pour les enfants, des pommades… ».
Seul praticien sur cette zone, Emre pare au plus urgent. Les blessés plus graves sont dirigés vers l'hôpital à la périphérie ou, pour les autres à Malatya, à 30 km, parfois par hélicoptère. Le travail semble sans fin. Le Dr Suat çoban est le médecin coordinateur des secours. À ses yeux cernés, on devine qu’il a très peu dormi et passe son temps au téléphone. « L’hôpital a été légèrement endommagé et quelques services ont dû être fermés le temps d’une journée, mais dans l’ensemble, le service est ininterrompu depuis le premier séisme, raconte-t-il. Tout le personnel s’est mis au travail immédiatement, certains n'avaient toujours pas quitté leur poste au bout de cinq jours ! » Les patients plus gravement touchés ont été adressés à Ankara ou à Istanbul pour y être soignés. « Une nuit, nous avons pu en envoyer 41 en même temps grâce à des avions militaire ! », se félicite-t-il.
Des miraculés et des critiques
Partout sur les réseaux sociaux, les vidéos de « miraculés » affluent, comme cette adolescente sortie des décombres au bout de 162 heures ou ce bébé de quelques mois retrouvé dans les bras de sa mère décédée. Des secouristes du monde entier – français, chinois, mexicains, soudanais, etc. – sont venus prêter main-forte aux sauveteurs turcs. Un hôpital de campagne devait être installé par les équipes françaises cette semaine.
Mais dans le chaos, la lenteur des secours ou de l'aide humanitaire est pointée du doigt, tout comme les choix opérés sur place. « Certaines personnes se plaignent de discrimination, du fait qu’on soigne les Turcs en priorité et non pas les Kurdes », croit savoir Yusuf Bozkuş, le président du parti démocratique du peuple de Malatya. De fait, certains villages n'ont reçu aucune aide pendant des jours et des jours. « Les gens ont besoin de tentes, de poêles, de nourriture et de produits frais, explique-t-il. Depuis plus d'une semaine, seul le centre-ville de Malatya a de l'électricité. Et ne parlons pas d’eau courante, il n’y en a plus à beaucoup d’endroits. »
Gastro-entérite, hépatite A, rougeole…
Emre, le médecin de famille, refuse de donner son nom car il travaille avec l’organisme officiel des secours. Mais il admet que la coordination n’a pas été facile, et le désordre « total » pour secourir les survivants des villages, qui se sentent abandonnés. « Nous avons perdu du temps, confie-t-il. Nous avons d'abord été affectés à l'hôpital central pendant quelques jours pour assister les équipes médicales épuisées. » La quasi-totalité des habitants vivent désormais dans des tentes de fortune.
Les médecins redoutent désormais la propagation de nombreuses épidémies. Car les températures sont glaciales et il a neigé à gros flocons après le séisme. « Les maladies infectieuses arrivent, cela peut être simplement une épidémie de gastro-entérite mais aussi beaucoup plus grave, comme l’hépatite A ou la rougeole. Et si dix personnes vivent dans une seule tente pendant un mois, la tuberculose va apparaître. Tout peut arriver. Avec la saison hivernale, de nombreuses épidémies sont à nos portes ». La catastrophe survenue en Turquie et en Syrie pourrait déclencher une grave crise sanitaire, ont déjà alerté les organisations humanitaires.