Nous avons déjà alerté à plusieurs reprises, tout comme de nombreux confrères et consœurs, sur l’angle exclusivement répressif de ce PLFSS concernant les indemnités journalières. Nous déplorons en effet que la fraude soit considérée comme la seule explication à l’augmentation des arrêts de travail, et qu’une suspension des indemnités puisse être décidée unilatéralement par un médecin mandaté par une entreprise s’il estime que l’arrêt n’est pas justifié (article 27 du PLFSS). Nous craignons la précarisation de travailleurs déjà vulnérables, les difficultés à réaliser un recours, et, comme les représentants d’usagers, le risque de glissement vers une privatisation de ces contrôles. Nous n’acceptons pas que l’avis d’un médecin rémunéré par l’entreprise prime sur celui du médecin prescripteur ayant initialement évalué l’état de santé du patient. L’intérêt de l’employeur ne saurait prévaloir sur les besoins de santé de l’employé.
Des facteurs démographiques
La croissance régulière des indemnités journalières est expliquée par des facteurs démographiques (augmentation de la population active et recul de l’âge de départ à la retraite) et par l’augmentation du montant des indemnités journalières correspondant à l’augmentation des salaires. Le dernier rapport “charges et produits” de l’Assurance-maladie démontre d’ailleurs que l’augmentation du taux de recours aux indemnités journalières n’explique que 14 % de cette croissance.
La progression des arrêts pour des motifs en lien avec la santé mentale dans un contexte d’augmentation des pathologies psychiques ne nous surprend malheureusement pas. Ils représentent 17,4 % des motifs d’arrêts en 2022, dans un contexte de difficulté croissante d’accès aux psychiatres et aux psychologues, avec des centres médico-psychologiques en grande difficulté, et un dispositif “mon soutien psy” saturé et encore imparfait.
Que faire pour endiguer cette soi-disant explosion du recours aux arrêts de travail ?
Penchons-nous sérieusement sur les problématiques liées aux conditions de travail et à la pénibilité, notamment en remédiant aux difficultés d’accès croissantes aux services de santé au travail. La direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) signalait récemment une diminution de cet accès : en 2019, 39 % des salariés du privé rapportaient une visite des services de santé au travail dans les 12 derniers mois contre 70 % en 2005. Donnons les moyens à la médecine du travail de remplir ses missions, notamment les visites médicales et sur sites.
Évaluons l’impact des difficultés d’accès aux examens diagnostiques sur la durée des arrêts. Ces examens qui orientent la prise en charge adaptée de certaines pathologies, notamment dans le cadre des troubles musculosquelettiques, mettent parfois plusieurs semaines à être obtenus.
Développons de réels dispositifs d’aide à la réinsertion professionnelle pour accompagner les patients en arrêt de longue durée. Les médecins généralistes se retrouvent trop souvent démunis pour orienter les patients dans ces situations, alors que nous savons qu’après six mois d’arrêt la reprise du travail s’avère nettement compromise. On peut par exemple s’inspirer des Pays Bas qui ont rendu obligatoire la mise en œuvre de mesures de réintégration professionnelle par l’employeur.
Pour diminuer le recours aux arrêts de travail, les entreprises doivent prendre conscience de l'impact des conditions de travail sur la santé, et s’investir dans la prévention : contrôles réguliers de l’état de santé physique et psychologique, mise en place et évaluations systématiques des mesures de sécurité par les acteurs de terrain, formations régulières, adaptation des méthodes de management à la prise en compte du bien-être au travail…
Attention au présentéisme
Enfin considérons le présentéisme et ses effets sur la santé. Un salarié qui se rend au travail en étant malade peut s’avérer un danger pour les autres ou pour lui-même. On peut citer l’exemple des maladies infectieuses avec un risque de contamination des collègues, ou un syndrome anxiodépressif débutant, pour lequel un arrêt de travail ponctuel précoce peut éviter une aggravation. Les salariés présentéistes évoquent diverses raisons : peur de perte de rémunération, crainte de mettre ses collègues en difficulté, d’une charge de travail trop importante au retour, d’une mise à l’écart ou d’une stigmatisation. En 2019 le baromètre Malakoff Humanis évaluait à 28 % le nombre d’arrêts de travail non pris (en augmentation par rapport à 2016).
Professionnels de santé de première ligne, face à ces réalités complexes et quotidiennes, plaidons pour une prise en compte globale de la santé des travailleurs, et attachons-nous à la préserver par un suivi adapté, l’amélioration des conditions de travail, et l’aide à la réinsertion socio-professionnelle.
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