Le rituel du changement de dirigeant, d’élu, de président, ou de toute personne en responsabilité d’une structure ressemble à ces grandes marées qu’on annonce parfois à force de superlatifs, alors que les bateaux restent amarrés, les quais en place, et les goélands totalement indifférents. Ainsi, le Conseil de l’Ordre a élu son nouveau président et avec lui un nouveau visage, une nouvelle voix, une nouvelle rhétorique, voire une nouvelle ligne directrice. Mais les murs, eux, n’ont pas bougé. L’institution reste la même. Au moins, provisoirement. Un peu comme si on en avait repeint la façade, soufflé légèrement sur la poussière, en appelant cela d’emblée « renouveau ».
Si le Conseil de l’Ordre était le phare qui est censé guider toute la profession, cette élection correspondrait alors au fait d’en avoir changé l’ampoule. Certains s’en réjouissent, d’autres lèvent un sourcil, fatigués qu’ils sont des histoires récentes dont certaines ont fait grand bruit dans les médias, de l’absence de soutien aux confrères qui étaient en première ligne lors de l’acmé de la crise Covid face à un Druide marseillais, élite autoproclamée et de ses prises de position provoquant des réactions allant de l’incompréhension à la consternation. Ou de l’alliance de l’institution avec des chanteurs sur le déclin, antivax et porte-parole revendiqués de la place rouge au lieu du drapeau tricolore.
L’élection d’un nouveau président n’est pas chose anodine
D’aucuns, lucides, s’interrogent sur cette élection au conseil, sur ce « changement d’ampoule » du phare : la lumière brillera-t-elle vraiment plus fort ? Ou va-t-elle simplement clignoter quelques mois, histoire d’éblouir les regards pressés d’une société habituée au zapping et aux nouvelles du jour chassant sans vergogne celles de la veille, avant de griller et s’éteindre, comme les précédentes ? Car le phare, en vérité, ne sert à rien s’il n’est pas entretenu. Peu importent sa hauteur, son prestige, sa localisation, sa structure et sa robustesse, peu importe comment il surplombe les flots, s’il reste plongé dans l’obscurité, il perd sa capacité de guidage, la confiance que l’on porte en lui pour nous aider, et devient simple monument, que l’on pourra peut-être prendre une photo en plein jour, arrosé par l’écume des vagues d’une mer houleuse.
Pourtant, élire un nouveau président n’est pas censé être chose anodine. Et celui-ci peut se révéler plus volontariste et plus à même d’accompagner la mue nécessaire de l’institution. Le tout étant de savoir si, dans ce phare, le circuit électrique est toujours opérationnel, s’il ne comporte pas de courts-circuits permettant à certaines pièces de fonctionner en totale autonomie, même aberrante. Le tout est de savoir si les interrupteurs ne sont pas trop rouillés et si l’institution ne cherche pas finalement à éclairer autre chose qu’elle-même.
Changer de président ne suffit pas. C’est au mieux un symbole, au pire une diversion. L’histoire est pleine de visages nouveaux venus s’asseoir sur d’anciens fauteuils, espérant faire différemment, mais découvrant qu’on ne gouverne pas un pays, une institution ou un ordre professionnel comme on en rêve, mais plutôt comme celui-ci se laisse faire. Une forme de changement dans la continuité. Et d’abandonner l’envie de participer à ces élections, tant elles ne serviraient plus à rien. Mais il serait trop facile, trop confortable, de s’arrêter à ce scepticisme. Trop cruel, il faut bien le reconnaître, aussi. Car un phare, même ancien, même fissuré, peut encore briller, pour peu qu’on y amène le courant adéquat, le bon électricien, et l’envie de regarder au-delà de la lanterne et de veiller à être là pour ceux que l’on est censé guider. Il suffirait qu’un président vienne, non pas pour briller seul, mais pour rétablir la lumière et coordonner les travaux de rénovation qui feront de ce phare le nouveau monument incontournable de la vie alentour.
L’institution serait-elle prête à bousculer un peu les murs, à forcer les portes, à relancer la machine ?
Peut-être même qu’au sein de l’institution, celles et ceux qui ont amené à l’élection de ce nouveau président, l’ont élu à dessein. Peut-être que tous les élus ordinaux, de toutes les régions de France, souhaitent enfin que l’institution phare de notre exercice professionnel se fasse connaître par sa façon d’organiser et réguler les soins, de gérer les relations entre soignants et soignés, plutôt que par la défense des réfractaires à la science et des agitateurs de canapés, ou par la qualité des piscines présentes dans leurs locaux. Il peut nous être permis d’espérer que l’institution, qui ne changera pas toute seule, serait prête à bousculer un peu les murs, à forcer les portes, à relancer la machine. Qu’il ne suffit pas de mettre une lampe neuve, mais plutôt de veiller à ce que celle-ci éclaire l’obscurité ? Et si, pour une fois, une élection changeait la donne ?
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