La proposition de loi dite transpartisane portée par Guillaume Garot a été votée à l’Assemblée nationale et devra désormais prendre le chemin du Sénat afin d’y être étudiée. Ce texte ne fera qu’aggraver l’accès aux soins de la population si elle devait être appliquée en l’état. Il manque de médecins partout. Et l’État devra donc décider de l’endroit où il en manque encore plus qu’ailleurs. Un peu comme si nous étions sur le Titanic (ce qui est un peu le cas, finalement, du système de santé français), et que le Capitaine nous demandait de retirer quelques transats de la première classe pour aller les mettre en deuxième. Il n’y en aurait pas davantage, mais la gesticulation donnerait l’illusion d’action.
Dans ce jeu perdant-perdant, les médecins se sont fait prendre au piège
Ou encore comme si, nous médecins, étions des pompiers à qui l’on demanderait d’éteindre davantage d’incendies, sans augmenter nos effectifs, sans ajouter de véhicule ni de lance à eau supplémentaire. Et nos chers élus ne manqueront pas de s’offusquer quand les médecins parleront de perte de vocation, d’épuisement ou de burn-out, dans une profession déjà plus soumise que n’importe quelle autre aux répercussions psychologiques de leur métier. Dans ce jeu perdant-perdant, les médecins se sont fait prendre au piège : les élus ont été les plus forts en termes d’éléments de langage et de communication, en allant occuper tous les médias possibles pour dire que, « eux », pensaient aux patients et à leur santé. Comprenez donc que les médecins, par leur opposition à cette proposition de loi ne penseraient qu’à leur petit nombril et auraient des réactions corporatistes d’un autre âge. Pour rester dans le parallèle avec les pompiers, on demande donc aux médecins d’éteindre toujours autant d’incendies, mais avec les mêmes seaux, juste en les répartissant autrement, car les élus s’inquiètent pour la population. Et si l’incendie n’est pas maîtrisé, comme par analogie avec la fable des rameurs, les élus diront que cela est la faute des médecins qui n’ont pas été assez actifs et investis, qu’ils ont laissé s’aggraver la situation alors que les élus, eux, avaient tout bien pensé, tout bien préparé. Et ils se féliciteront du bon travail accompli et qui a échoué à cause de ces misérables médecins fainéants.
Refuser de voir la pénurie
Quoique… En guise de fainéantise, nous sommes en droit de nous étonner que ce texte ait été voté dans un hémicycle quasi vide. Pour une proposition de loi contenant également le retour à une obligation de gardes, pour tous les médecins, quels que soient leur condition physique, leurs antécédents, leur âge ou leurs pathologies, le taux d’absentéisme des députés a frôlé les deux tiers. Un « Faites ce que je dis, pas ce que je fais » plus que caricatural… 99 députés ont donc été suffisants pour dire que l’on va déplacer des médecins de zones mieux dotées à d’autres moins bien dotées, un peu comme si on déplaçait des sources de lumière dans une maison. La maison n’est globalement pas plus éclairée, mais cela ne trompe que ceux, comme nos chers élus, qui refusent de voir que le problème majeur que nous avons est celui d’une pénurie. Nos élus doivent ce soir être sourire aux lèvres, dormant sur leurs deux oreilles, quand les médecins, chaque jour moins nombreux se tuent à la tâche et verront la situation empirer.
L’obligation de gardes pour tous les médecins
Alors, s’il faut garder un élément qui peut faire sourire quelques secondes, c’est d’imaginer que la proposition de loi a prévu que tous les médecins, sans exception, devront participer aux gardes en nuit profonde, c’est-à-dire entre minuit et 8 heures du matin, en dépit du bon sens. En effet, ces médecins qui vont travailler pendant vingt-quatre heures seront obligés par la loi européenne à un repos compensateur le lendemain, et donc être absents de leurs cabinets, leur service hospitalier ou leur clinique. Voire absents de leur service de l’agence régionale de santé, celle-là même qui devra indiquer quelle zone peut accueillir de nouveaux médecins ou non. Oui, ces médecins qui n’ont plus vu un patient depuis des mois voire des années, auront obligation à retourner assurer des gardes. Comme les épilateurs exclusifs de sillons interfessiers qui devront assurer les consultations en pleine nuit pour une angine qui visiblement ne pouvait attendre quelques heures, car touchant des électeurs qui seront contents d’avoir eu une consultation en pleine nuit et voteront pour ces députés en guise de remerciement. Si cette situation prête à sourire, ce n’est que brièvement : qui sera garant de la sécurité des soins pour les patients par des médecins ayant perdu l’habitude de soigner les maux du quotidien ? Finalement, nos élus devraient davantage prendre soin de leurs électeurs et écouter un peu plus les soignants…
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