Les épidémies virales saisonnières sont de retour en Pédiatrie. Après une année 2020 marquée par l’étrange absence de toute épidémie hivernale, alors que les collectivités des plus jeunes enfants étaient ouvertes, l’automne 2021 voit le retour à la « normale ». Les virus circulent de nouveau et les enfants sont malades : rhume, fièvre, bronchiolite, asthme, gastro-entérite… Si certaines hypothèses immunologiques font craindre une forte intensité de l’épidémie hivernale habituelle, cette saisonnalité reste un phénomène bien connu, avec des variabilités annuelles d’intensité également habituelles.
Pourtant, cet automne est à peine commencé que le mot « crise » est appliqué à cette activité saisonnière et que des dispositifs sont mis en place dans les structures hospitalières, analogues à celles qui avaient permis la gestion des vagues de la pandémie Covid. Les témoignages d’équipes pédiatriques épuisées affluent de l’ensemble du territoire français, d’hôpitaux universitaires comme d’hôpitaux généraux. La crise sanitaire a servi de révélateur des difficultés préexistantes et n’a fait qu’accentuer et rendre encore plus visibles les points de faiblesse de notre système de santé et de celui des enfants en particulier. Comment en est-on arrivé là ? Peut-on identifier des pistes d’amélioration ?
Des progrès considérables en termes diagnostiques et thérapeutiques
Retour sur la chronique d’un chaos annoncé… La Pédiatrie médicale et chirurgicale ne se résume pas à la prise en charge des infections aiguës saisonnières de l’enfant. Elle a également pour mission la prise en charge des nombreuses maladies chroniques de l’enfant, parfois rares et complexes. Ainsi, 360 000 enfants et adolescents de moins de 15 ans de notre territoire ont une affection de longue durée, et 40 % des centres de référence pour les maladies respiratoires rares sont pédiatriques.
Pour toutes ces pathologies chroniques, la Pédiatrie médicale et chirurgicale a connu des progrès considérables au cours des deux dernières décennies, à la fois en termes diagnostiques et thérapeutiques. Ces progrès s’accompagnent de la nécessité de plateaux techniques pédiatriques de plus en plus complexes, de soins de plus en plus lourds et spécialisés, et d’un niveau d'expertise croissante pour les équipes qui prennent en charge ces enfants. Ces soins experts relèvent quasi-exclusivement de l’hôpital public. 80 % des emplois médicaux de pédiatres sont dans des établissements publics, contre seulement 60 % pour les autres spécialités médicales et 45 % pour les spécialités chirurgicales.
L'hôpital public en première ligne
L’hôpital public est aussi celui qui va devoir assumer pleinement les épidémies saisonnières pédiatriques en assurant la quasi-exclusivité de la permanence des soins avec 95 % des structures d’urgences pédiatriques relevant d’établissements publics qui absorbent la totalité des consultations non programmées en dehors des heures ouvrables. Toute fragilité au sein de l’hôpital public ne peut que compromettre cette difficile double mission de prise en charge d’enfants avec pathologies chroniques et de réponse aux pics épidémiques.
La Pédiatrie hospitalière est fragilisée depuis de nombreuses années et cette fragilité s’est exacerbée en 2021 avec le manque de personnel infirmier et la nécessité de fermetures de lits, qui touche l’ensemble du tissu hospitalier mais n’épargne pas la Pédiatrie. Le récent rapport de l’IGAS a parfaitement décrit toutes les difficultés que traverse la Pédiatrie, dont le mode d’exercice est très majoritairement hospitalier. Parmi les éléments de fragilité identifiés pour la Pédiatrie hospitalière, on peut relever : le faible rôle de recours des pédiatres de ville, dont les compétences ne sont pas suffisamment mises à profit des enfants et des familles ; l’absence de logique de gradation des soins, source d’une sur-sollicitation des établissements hospitaliers, qui ne peuvent se centrer sur leur domaine d’expertise très spécialisé ; les difficultés croissantes pour les pédiatres hospitaliers de répondre aux exigences d’une spécialisation croissante tout en conservant un exercice de pédiatrie générale, notamment à travers les gardes aux urgences pédiatriques ; la charge élevée de la continuité et de la permanence des soins pour les pédiatres hospitaliers, responsable d’une baisse d’attractivité, notamment pour les équipes de taille limitée ; les difficultés liées aux épidémies hivernales, qui accroissent les besoins en termes de lits et de personnels notamment paramédicaux. Toutes ces difficultés, ajoutées à celles spécifiques de la Pédiatrie ambulatoire, font conclure au rapport IGAS cette conclusion sans appel, que nous partageons : « L’offre en santé ne répond pas à tous les besoins de santé des enfants ».
Quatre pistes d'actions indispensables
Lorsqu’une énième épidémie saisonnière nécessite d’être gérée cette fois comme une « crise » et met en difficulté toutes les équipes pédiatriques, foncièrement attachées à l’hôpital public, c’est qu’il y a urgence à réorganiser les soins de santé de l’enfant en France. Les solutions sont déjà bien identifiées.
1/ Les soins hospitaliers doivent être mieux organisés pour établir une réelle gradation des soins, et renforcer les compétences et la qualité des soins. Pédiatrie polyvalente, pédiatrie spécialisée et chirurgie pédiatrique doivent voir leurs besoins adaptés pour répondre à leurs missions respectives. Il faut notamment reconnaître les soins lourds et complexes de l'enfant et adapter le personnel dans ces unités.
2/ L’exigence de qualité des soins auprès des enfants impose de renforcer la présence des infirmières puéricultrices et des auxiliaires de puériculture dans les services de pédiatrie et de chirurgie pédiatrique, ainsi que les compétences pédiatriques de l’ensemble des professionnels contribuant à la prise en charge des enfants hospitalisés.
3/ Les soins pédiatriques doivent être mieux valorisés grâce à une meilleure nomenclature des actes et soins réalisés en médecine libérale comme à l’hôpital.
4/ Le pédiatre de ville doit pouvoir être pleinement intégré au suivi médical des enfants avec maladies chroniques grâce à une revalorisation des actes correspondants. Il est enfin urgent de mieux coordonner les parcours de soins non programmés entre ville et hôpital pour éviter les innombrables consultations aux urgences qui pourraient être faites en ambulatoire.
La « crise » pédiatrique n’est donc pas saisonnière, mais structurelle et ancienne. Le récent rapport IGAS sur la Pédiatrie identifie parfaitement les constats et propose déjà de nombreuses solutions. Il ne reste qu’à le rendre concret. La santé des enfants est un enjeu national considérable, car représente l’enjeu de la santé des adultes de demain. Il est urgent d’y répondre.
Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
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