Au début de mes études de médecine, le crayon et le papier, comme le stéthoscope et le marteau réflexe, étaient nos compagnons de route vers le savoir médical. Aucune communication n’était totalement instantanée et le recul que conférait le temps mis par le courrier terrestre pour nous relier obligeait à la réflexion, tempérait les propos et autorisait le recul nécessaire pour comprendre ce qui relevait du vrai progrès médical.
Quand je suis entrée de plain-pied dans le monde de la recherche, notre canal d’échanges le plus rapide était l’email dans une relation qui devenait multilatérale lors des conférences scientifiques, avec des débats souvent animés, voire controversés, mais toujours dans le respect des connaissances des uns des autres, et surtout des principes du débat contradictoire : la science se construit à plusieurs, et la construction de la science demande du temps et de l’humilité.
Puis les réseaux sociaux sont apparus. Quelle révolution que les réseaux sociaux comme twitter où en dix secondes et 140 puis 280 caractères on partage avec la communauté scientifique tel papier qui pourrait profondément modifier nos connaissances ou tel résultat de congrès immédiatement applicable à nos malades ! Pour le meilleur, les réseaux sociaux nous ont fait plonger dans le XXIe siècle… et pour le pire, ils nous ont entraînés dans l’ère de la post-vérité, où la crédibilité d’un discours repose moins sur son adéquation aux faits que sur sa correspondance avec les croyances et les pulsions émotives d’une partie de l’opinion publique.
Bien sûr, l’obscurantisme n’a pas attendu l’ère moderne pour réduire au silence nombre de grands scientifiques dont les idées révolutionnaires ne s’accommodaient pas des fausses croyances de l’époque. Et le complotisme n’a pas attendu l’ère des réseaux sociaux pour prospérer aux dépens des angoisses des citoyens. Mais les réseaux sociaux, par la caisse de résonance mondiale qu’ils peuvent donner en une fraction de seconde aux thèses les plus farfelues et souvent rendues plausibles par un savant maquillage de la réalité, jouent un rôle majeur dans la diffusion des fausses informations médicales.
66 millions de covidologues !
L’anonymat qui y sert de base à la plupart des échanges a beaucoup contribué au sentiment d’impunité ressenti par certains utilisateurs peu scrupuleux, tandis que la griserie procurée par l’inversion de la norme a aboli la distance entre scientifiques et citoyens lambda (« 66 millions de covidologues »). Et là on ne parle même pas du harcèlement organisé dont le but est de faire taire les voix de raison et tempérance pour qu’au-dessus du brouhaha n’émergent que les voix de stentor des egos hypertrophiés (qui curieusement sont toujours celles qui propagent la haine, la stigmatisation et la division).
Les chercheurs y gardent-ils donc une place ? Nous serions évidemment tentés de nous réfugier sur nos réseaux privés, nos plateformes virtuelles ou nos conférences présentielles. Pourtant c’est dans l’agora, espace public cher à Platon que Socrate questionnait la société qui l’entourait et y recevait la contradiction.
Non, les scientifiques ne doivent pas s’exclure de cette agora devenue virtuelle. À nous de faire en sorte que les réseaux sociaux deviennent une nouvelle agora, avec des règles : interroger les raisons d’y maintenir l’anonymat, systématiser les peines (dont l’exclusion) pour les propos pénalement condamnables, éduquer à leur utilisation, et apprendre à chacun (incluant soi-même !) à prendre du recul et faire preuve d’esprit critique quant à ce que l’on y cherche et ce que l’on y trouve.
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