La « PMA pour tous » qui, quel que soit le contenu des débats actuels, sera certainement validée avant la fin de l’année, n’est qu’une des étapes qui jalonnent une révolution anthropologique majeure depuis quelques décennies : celle du rapport de l’Homme à l’Autre et donc à soi-même ; la « tyrannie du désir » dévore son attention à l’Autre et le prive ainsi de la « Re-Co-Naissance » fondatrice de sa propre humanité avec des effets mortifères. Par cette expression, je transpose volontairement un essai écrit par Jean-Claude Guillebaud en 1998, « La tyrannie du plaisir ».
La PMA pour tous n’est que la lancinante répétition d’une revendication morbide : je veux, je peux (puisque la techno médecine le rend possible), donc tu (l’enfant) seras le fruit voire l’objet de mon désir ; vous (la société) devez par la loi être solidaires de mon désir au nom de « ma liberté », au nom de « l’égalité » qui ne saurait tolérer la moindre discrimination, quels que soient mon âge, mon « genre » et mon statut.
De plus, au nom de la « fraternité », par le biais de la Sécurité Sociale vous devez rembourser le coût de ce désir sans rechigner ! Cette triade républicaine est ainsi bien manipulée et maltraitée !
« Ce n’est plus, "Je pense", mais "Je veux donc je suis" ». Cette nouvelle formule détourne et calque le « ce n’est plus je pense mais j’ai donc je suis » chantée par Jean-Jacques Goldman en 2002 dans le titre « Les choses ».
Nous sommes bien loin de la formule chère à Descartes « Je pense donc je suis ». Celle-ci fondait déjà pourtant une vision très réductrice de l’Humanité qui nous habite.
Une anthropoplogie étriquée, tyrannique et mortifère
Nous sommes aux antipodes du « tu es donc je suis », « je/tu reçois et/ou donne donc je suis », « je te nomme, tu me nommes, donc nous sommes », dans une réciprocité fondatrice de notre humanité respective et de celle du monde que nous habitons. Ces dernières lignes revendiquent une anthropologie qui paraît aujourd’hui obsolète.
À mon sens, elle est pourtant la seule qui puisse avoir une dimension universelle, bien au-delà des revendications des religions monothéistes qui se la sont parfois appropriés. Cette anthropologie est peut-être la seule qui fonde la dignité de l’Homme et qui soit porteuse d’un avenir. À l’opposé, celle qui émerge dans ce « je veux donc je suis » dans les débats actuels, qui plus est au nom de l’accès au progrès et de la liberté, paraît bien étriquée, tyrannique et mortifère. Le Trans humanisme dicte sa loi faisant fi de l’Homme.
La révolte des enfants
Pédiatre praticien depuis 40 ans, compagnon de route et témoin de la naissance et de la vie d’une multitude diverse d’enfants et de familles, je reste d’un optimisme vigilant. Issus d’une PMA ou non, les enfants finissent en effet toujours par refuser de manière déterminée à être réduits à l’objet d’un « projet parental », au fruit du « désir tyrannique » de leur(s) géniteur(s) génitrice(s) et/ou de la techno médecine mercantile qui les promeut. Issus d’une PMA ou non, confrontés à cette tyrannie du désir, les enfants paient cependant le prix de leur révolte salutaire dans des blessures du quotidien ou de leur histoire. Alors, enfin confrontés à la vanité de leur désir, les parents d’abord plongés dans le désarroi auquel les accule la révolte de leurs enfants, puis plongés dans un abîme de perplexité, finissent presque toujours par s’inviter et à inviter leurs enfants à une « Re-Co-Naissance ». Ils congédient ainsi le « je veux donc je suis », fantasme mortifère et déshumanisant.
Il y a 20 ans, Philippe Meyer journaliste à France Inter concluait invariablement, avec « humour et humilité pour tous », chacune de ses chroniques hebdomadaires par une litanie laconique dont il a le secret : « le progrès fait rage, le futur ne manque pas d’avenir, nous vivons une époque moderne ». Les futurs parents, les polémistes du progrès, les médecins et les législateurs gagneraient à méditer cette litanie.
Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans le « Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr .