Éditorial

Sacré toubib !

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Publié le 25/06/2021

Grandeur et servitude d'un métier décidément pas comme les autres… En ce début de XXIè siècle, il faut croire que la figure du médecin reste suffisamment romanesque pour inspirer encore réalisateurs, scénaristes ou acteurs. On se souvient du « Dr » François Cluzet, épuisé mais obstiné, que Thomas Lilti présentait en 2015 dans « Médecin de campagne ». Avant que les frères Dardenne n'inventent cinq ans plus tard une « Dr » Adèle Haenel, sensible et déterminée, dans « La fille inconnue ». Et depuis quelques jours, on découvre un « Dr » Vincent Macaigne plutôt convaincant dans la peau du « Médecin de nuit » surbooké d'Élie Wajeman. L'époque a beau coïncider avec la désacralisation des notables — les profs, les curés, les toubibs en sont d'une certaine façon victimes —, l'univers des blouses blanches continue de captiver le public et d'inspirer les auteurs. Au sortir d'une crise sanitaire qui a tant mis à contribution les soignants, ce n'est pas si étonnant. Et c'est un motif de légitime fierté pour la profession.

Le film à l'affiche actuellement démontre d'ailleurs, s'il en était besoin, que la médecine, en général, et la médecine générale, en particulier, demeurent encore, quoi qu'on en dise, un réel sacerdoce. Certes, le héros n'est pas un « Docteur Toutlemonde », loin de là. Cette histoire, déjà évoquée dans nos colonnes (cf. « Médecin héros de la nuit », « Le Quotidien » du 18 juin), met en scène un urgentiste d'une structure libérale, toujours débordé, jamais là pour ses proches et tout entier au chevet des détresses diverses vers lesquelles on l'oriente au cœur de la nuit. Les toxicos de la capitale font partie de cette file active hors norme du Dr Mikaël. D'autant que ce praticien, à la fois militant, volontaire et rêveur ne se dérobe pas, leur portant assistance avec un désintéressement qui suscite admiration, mais aussi inquiétude chez le spectateur. Ce n'est pas aux lecteurs du « Quotidien » qu'on aura besoin d'expliquer que la garde en milieu urbain n'est pas une sinécure. L'un des mérites de ce long métrage est de le montrer sans détour, parfois crûment. Et même si c'est une fiction, même si c'est un thriller, après avoir vu ça, on comprend mieux pourquoi il y a des déserts médicaux à Paris.

Ce film — c’est un de ses mérites — confronte le public aux difficultés de l'exercice en 2021. Qui s'y frotte s'y pique… On comprend que, pour un acteur de santé, la frontière entre légalité et hors jeu est, dans certaines circonstances, plus ténue qu'on ne le pense. Que la vie familiale des soignants est parfois mise à rude épreuve quand il faut être disponible jour et nuit. Et que les violences dont ils sont parfois victimes peuvent user les plus aguerris. Menacé par un burn-out qui ne dit pas son nom, le personnage principal de « Médecin de nuit » est un noctambule d'exception. Pas forcément un exemple. On aurait parfois envie de lui crier qu'il faut savoir s'arrêter à temps…

Jean Paillard

Source : Le Quotidien du médecin