Difficile d’échapper à la Conférence sur le climat ces jours-ci. Et, pourtant, il n'est pas dit que la santé soit au centre des discussions de la COP 21. Une omission regrettable alors que, sur le terrain, les généralistes seraient en première ligne pour la prise en charge des populations souffrant des conséquences du réchauffement climatique. épisodes plus fréquents de canicule et de pollution, développement des allergies, plus forte prévalence des affections respiratoires, émergence d’infections tropicales en métropole… La liste des risques sanitaires ne cesse de s'allonger. Et ce n'est peut-être que la partie émergée de l'iceberg.
Les généralistes, en première ligne lors de la canicule de l’été, ne devraient pas avoir de mal à s’en convaincre : 2015 pourrait être l’année la plus chaude jamais enregistrée. C’est en tout cas ce qui ressort d’un rapport de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) publié le 25 novembre. À l'occasion de la COP 21, l’organisation soulignait que la température à la surface du globe n’est pas loin de franchir « le seuil, aussi symbolique que significatif, que constitue un réchauffement d’un degré Celsius par rapport à l’époque pré-industrielle ». à l’heure où près de 150 chefs d’État et responsables gouvernementaux négocient, à Paris, de nouvelles règles pour contenir l’élévation de la température à 2° d’ici à la fin du siècle, l’impact du changement climatique sur la santé se fait déjà sentir. Et ne devrait pas faiblir.
250 000 décès supplémentaires par an entre 2030 et 2050
Au nom de l'association médicale mondiale (WMA), son président sortant, le généraliste français Xavier Déau, a ainsi souligné que « dans un monde où l'inégalité en matière de santé est criante, ces changements (climatiques) ne feront qu'aggraver les choses ». Si l'organisation appelle de ses vœux un accord mondial « mettant bien l'accent sur la protection et l'amélioration de la santé », elle joint le geste à la parole en proposant aux professionnels de santé un guide pour faire de leurs cabinets des « green offices ». Du côté de l'OMS, on prévoit que « le changement climatique pourrait entraîner environ 250 000 décès supplémentaires par an entre 2030 et 2050 ». Par ailleurs, l’OMS estime, dans une note publiée en octobre, que « le coût des dommages directs pour la santé (…) se situe entre 2 et 4 milliards de dollars par an d’ici à 2 030 ».
De sombres prévisions qui, bien entendu, n’épargnent pas la France où des groupes de recherche s’intéressent eux aussi aux relations entre changement climatique et
santé. « Si de nombreuses questions restent ouvertes, il existe désormais un consensus sur l’importance des liens entre changement climatique et santé », affirme ainsi Mathilde Pascal, épidémiologiste à l’Institut national de veille sanitaire (InVS). Dans un article du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH), paru le 24 novembre, elle précise que « l’adaptation et l’atténuation sont indispensables » pour réduire les impacts sur la santé et qu’elles « peuvent s’appuyer dès maintenant sur des mesures qui seront bénéfiques à la fois pour la santé et pour le climat ». En somme, il n’est ni trop tôt ni tard pour agir sur notre santé. Et intervenir sur le premier pan sera nécessairement bénéfique sur le second.
Les évènements de type caniculaire vont augmenter de fréquence au milieu du siècle et plus encore à la fin
Pr Jean-François TOUSSAINT
Groupe de travail Adaptation et Prospective, HCSP
Ces impacts sur la santé, les généralistes en voient déjà certaines conséquences dans leurs cabinets. À commencer par ceux liés directement au réchauffement climatique et résultant des canicules et autres vagues de chaleur. « Ces événements extrêmes de type caniculaire, qui vont notamment augmenter de fréquence au milieu du siècle et plus encore à la fin, vont modifier la capacité d’adaptation des populations et les prises en charge des médecins », affirme le Pr Jean-François Toussaint, membre du groupe de travail Adaptation et Prospective du Haut Conseil de la Santé publique. L’âge, les conditions physiques et physiologiques, le fait de souffrir d'une maladie invalidante ou une insuffisance d’organe sont autant de facteurs qui influent sur les capacités de chacun à faire face à des températures importantes. Et celles-ci sont d’autant plus difficiles à supporter qu’elles se répètent dans le temps. Elles appellent, de la part des généralistes, une attention toute particulière car, comme le précise Jean-François Toussaint, « c’est le premier choc qui est le plus important, c’est dans les deux premiers jours qu’on va avoir le plus d’impacts de la chaleur et, donc, de décès ».
Les médecins de proximité en première ligne
Avec des épisodes caniculaires plus fréquents, c’est tout le système de soins français qui va devoir s’adapter. Et les généralistes seront toujours en première ligne. « Ils vont de plus en plus devoir être en alerte », prévient le Dr Bernard Jomier. L’élu vert parisien en charge de la santé reconnaît toutefois que des efforts ont été faits, depuis 2003.
« On voit bien que les mesures de prévention, d’adaptation, d’hygiène qui ont été prises, l’attention aux personnes âgées, aux malades chroniques, aux personnes handicapées mentales – les principales victimes en 2003 – ont permis de minimiser les conséquences de l’épisode de 2015 », assure-t-il, données de l’InVS à l’appui. À ses yeux, « les généralistes ont eu et vont avoir un rôle central d’alerte envers leurs patients les plus vulnérables, pour qu’ils fassent face aux épisodes caniculaires et ne meurent pas de déshydratation ni de complications liées à une maladie chronique préexistante ». Jean-François Toussaint abonde en ce sens, « une personne de 83 ans n’a pas les mêmes capacités adaptatives qu’une autre de 25 ans et sera donc très dépendante de son entourage et de notre capacité à nous organiser, collectivement, à l’échelle du territoire pour la mise en place très rapide de conditions fraîches »[[asset:image:8266 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":[]}]]
Les généralistes vont avoir un rôle central d’alerte envers leurs patients les plus vulnérables
Dr Bernard JOMIER
Elu EELV, en charge de la Santé à la Mairie de Paris
Ces aspects du réchauffement climatique ne sont pas les seuls auxquels les généralistes pourraient être confrontés. Car aux effets directs de ces dérèglements, il convient d’ajouter certains dommages colatéraux du réchauffement. Multiples et variés, ils ne sont d’ailleurs pas encore tous identifiés tant ils peuvent se combiner entre eux. Et produire, à leur tour, de nouveaux effets nocifs pour la santé. Le très sérieux BMJ allait même, la semaine dernière, jusqu’à évoquer des conséquences sur la nutrition et la santé mentale. Auteur d’une étude sur les Impacts sanitaires de la stratégie d’adaptation au changement climatique, Jean-François Tousssaint explique : « On découvre à peine ces interactions, très nombreuses et importantes, sur lesquelles on a énormément de progrès à faire, de recherches à mener pour voir, par exemple, ce que sont leurs effets sur des vulnérabilités nouvelles, comme le vieillissement de la population européenne ».
Pollution et allergies en prime
Parmi les combinaisons auxquelles le spécialiste fait référence, il y a pollution et chaleur. Une association qui vient s’ajouter à celles que les généralistes rhônalpins connaissent bien : pollution et allergies. Réchauffement climatique aidant, l’ambroisie se développe de la Bourgogne à l’Auvergne, en passant par la région Rhône-Alpes. Depuis quelques années, cette plante émergente à pollen très allergisant s’épanouit, gagne un nombre croissant de départements et même la périphérie de Lyon.
À Sainte Foy-Lès-Lyon, commune « très résidentielle, il y a des parties de terrain pas forcément bien entretenues où l’ambroisie pousse », explique ainsi le Dr Charles-Henry Guez.
« De mars à juillet, je prescris tous les jours des anti-histaminiques », assure ce généraliste qui précise avoir encore rédigé une ordonnance de ce type, fin novembre. « Depuis 5 ans, ça s’aggrave », juge-t-il, évaluant à 10 % la part de sa patientèle ayant suivi un traitement anti-pollen ou anti-histaminique. Et, pour couronner le tout, les allergies, nez qui coulent, yeux qui pleurent et difficultés à respirer, sont accentués par la pollution provenant « du couloir de la chimie. Quand les vents du sud remontent la vallée du Rhône, il y a un effet entonnoir au niveau de Lyon », commente le généraliste. Selon les saisons, la pollution se conjugue avec les pollens printaniers, en provenance de la Drôme, ou l’ambroisie qui fleurit en été. Laquelle devrait d’ailleurs continuer à s’épanouir sans vergogne, « les concentrations dans l’air du pollen d’ambroisie (…) pouvant quadrupler en Europe à l’horizon 2050 », selon le CNRS.
Pour aider les médecins à faire face à la multiplication et l’intensification des allergies, l’URPS Rhône-Alpes a d’ailleurs développé, en partenariat avec les pouvoirs publics et différents conseils ordinaux, un site internet dédié aux risques infectieux et environnementaux. On y trouve notamment une carte pollinique mise à jour quotidiennement, des informations sur la grippe saisonnière ou encore sur la surveillance des infections à virus Ebola. « L’URPS a réuni des experts pour rédiger des fiches afin que les professionnels aient de l’information quand ils reçoivent leurs patients », explique Charles-Henry Guez, secrétaire SML de l’Union. Qui note que « l’environnement est un sujet qui rassemble les cinq structures syndicales représentées à l’URPS ».
L'arrivée des pathologies tropicales
Davantage épargnés, pour l’instant, par les allergies à l’ambroisie, les généralistes du reste de l’Hexagone seraient, en revanche, tous concernés à terme par des risques infectieux d’un nouveau genre. Dengue, chikungunya et autre moustique tigre, vecteur de ces pathologies du sud, sont désormais présents sur une grande partie du territoire. « Depuis septembre 2015, le Tarn et la Vendée ont été inclus dans la liste des départements où le moustique Aedes albopictus est implanté », indique l’InVS, portant à 22 le nombre de départements concernés par un dispositif de surveillance renforcé.[[asset:image:8276 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":[]}]]
La moitié de ma patientèle a été atteinte du chikungunya
Dr Patrick GAILLARD
Médecin généraliste à Saint-Paul (La Réunion)
Avec la modification des écosystèmes, « la géographie des vecteurs de maladies infectieuses va elle aussi se modifier avec, par exemple, le moustique tigre qui a défrayé la chronique en s’implantant dans le sud de la France puis maintenant en Ile-de-France où des cycles larvaires ont été repérés cet été », souligne Bernard Jomier. Et l’élu à la mairie de Paris d’ajouter que « pour la première fois cette année, il y a eu une épidémie autochtone de dengue en Languedoc ». Cela n’a représenté qu’une infime partie des cas recensés en métropole par l’InVS (6 cas autochtones contre 127 importés) mais « clairement, la modification du climat, entraînant celle des vecteurs présents, va provoquer une modification des maladies infectieuses », prévient-il.
Des épidémies inédites pour les généralistes métropolitains mais auxquelles leurs confrères de l’outre-mer ont déjà été confrontés. Parfois brutalement. À l’instar de La Réunion en 2005. Contrairement aux épisodes de grippe saisonnière, « la particularité du chikungunya, pour la Réunion, est liée au fait qu’il s’agissait d’une maladie très peu connue, très invalidante et qui a suscité beaucoup d’inquiétudes et d’incertitudes quant à l’évolution de l’épidémie », explique le Dr Patrick Gaillard. Exerçant à Saint-Paul, il estime que la moitié de sa patientèle, à l’image de la population de l’île, en a été atteinte.
Sans attendre la survenue d’une telle épidémie, les pouvoirs publics ont engagé des actions de démoustication sur le littoral méditerranéen. Aucun vaccin n’existe pour l’instant contre le chikungunya mais si la dengue devait s’enraciner, Marisol Touraine a, d’ores et déjà, évoqué le possible recours au vaccin développé par Sanofi. Sérum pour lequel le laboratoire n’a toutefois pas pour l'heure sollicité d’autorisation de mise sur le marché en Europe.
Contamination de l'environnement intérieur
Changement climatique ne rime toutefois pas seulement avec canicule, c’est également l’une des causes des inondations, de plus en plus violentes et récurrentes à l’échelle du territoire. De celles-ci peuvent résulter, dans les habitations touchées, « le développement de moisissures et de pathologies respiratoires », souligne pour sa part André Cicolella, président de l’association Réseau santé environnement. Pour ce chercheur en santé environnementale, « une des conséquences sanitaires du changement climatique se trouve également dans la réponse qu’on peut apporter ».[[asset:image:8281 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":[]}]]
L’environnement intérieur est une source d’exposition aux perturbateurs endocriniens
André CICOLELLA
Président de l’association Réseau santé environnement
Tout en soulignant le paradoxe de la lutte contre le chikungunya qui passe par l’usage de pesticides et dont l’impact sanitaire n’est pas évalué. Autre exemple, selon lui, des effets pervers de la riposte au réchauffement climatique : « toute la dimension liée à l’énergie, l’isolation des bâtiments. Si on ne prend pas en considération la santé, on va augmenter le risque sanitaire lié à la contamination de l’environnement intérieur », pointe-t-il. Et de rappeler que celui-ci est « une source d’exposition aux perturbateurs endocriniens ». Qui contribue, à ses yeux, à amplifier la croissance des maladies chroniques, « phénomène lié aux grands changements environnementaux de l’après-guerre mais que le changement climatique peut amplifier ».
Et si, finalement, comme le résume André Cicolella, le fond du problème résidait dans le fait que la santé, à défaut d’être considérée comme faisant partie de la crise écologique, reste cantonnée au rang de variable d’ajustement. Le bon sens conviendrait plutôt d’intégrer tout de suite la dimension sanitaire comme remède au changement climatique.