Albert Lautman, directeur coordonnateur de la gestion du risque en Île-de-France pour l'Assurance-maladie et directeur général de la caisse primaire de l’Essonne, dévoile au Quotidien les premiers résultats édifiants d'une étude sur la pratique de la téléconsultation en région Île-de-France.
Cette enquête – dont la version définitive paraîtra début 2024 – a comparé les téléconsultations* pratiquées par des médecins généralistes traitants et celles effectuées au sein des plateformes dédiées à cet usage (Livi, Qare et Medadom). Menée du 1er janvier au 30 juin 2023, l'étude révèle des écarts en matière de profil de patients ou de prescriptions.
LE QUOTIDIEN : Qu'est ce qui a motivé la réalisation de cette étude ?
ALBERT LAUTMAN : Elle a été lancée après que plusieurs organisations professionnelles – dont MG France et l'URPS Île-de-France – nous ont interpellés sur le développement de mauvaises pratiques en matière de téléconsultation. Nous avons souhaité mener une réflexion large. Il était important pour nous de disposer de données objectives sur lesquelles nous appuyer. Le système de santé est en pleine évolution et nous devons être à l'écoute de ces nouvelles pratiques tout en restant vigilant.
Que révèlent les premiers résultats de cette enquête sur le profil des patients ?
Ce n'est pas une grande surprise. L’étude révèle que le public ayant recours aux téléconsultations est plus jeune comparé à l'ensemble des assurés sociaux. En Île-de-France, 55 % des téléconsultants ont entre 20 et 39 ans. On observe par ailleurs que ceux qui téléconsultent à travers des plateformes spécialisées sont en moyenne plus jeunes (en moyenne 31 ans) que ceux qui téléconsultent via des médecins généralistes (en moyenne 43 ans). Par ailleurs, 82 % des téléconsultations réalisées sur les trois plateformes étudiées profitent à des jeunes actifs de moins de 40 ans. Ce chiffre s'élève à un peu plus de 50 % pour les téléconsultations proposées par les médecins généralistes traitants.
Un autre profil moins attendu que nous avons identifié est celui des bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (CSS). Ils représentent au total 20 % des téléconsultants, soit une proportion deux fois plus élevée que leur part dans la population en Île-de-France (9,2 % au 1er janvier 2023). Du fait de la raréfaction des médecins dans la région, cette population précaire, souvent sans médecin traitant, rencontre des difficultés pour obtenir un rendez-vous médical. De ce fait, ils sont nombreux à utiliser les plateformes de télémédecine.
Comme le mentionne MG France, les principaux bénéficiaires de ces téléconsultations de plateforme ne sont pas du tout des patients âgés polypathologiques n'ayant plus de médecin traitant…
Oui, c'est incontestable. Sur les plateformes, on est effectivement bien loin du profil du patient polypathologique complexe et âgé. Malgré tout, ce n'est pas parce qu'on est jeune qu'on ne peut pas être malade ! J'ai l'impression qu'il y a un présupposé à dire que certaines téléconsultations ne seraient pas nécessaires. Or, les analyses que nous avons menées n'ont montré aucune anomalie particulière sur lesdites téléconsultations. Il s'agit de consultations pour de l'aigu. Généralement, ce type de patients jeunes consultent pour des pathologies de la vie courante (sphère ORL, problèmes digestifs, petites infections, etc.). Mais cela ne signifie pas que les motifs évoqués ne nécessitent pas d'être pris au sérieux. Peu importe l'âge, lorsque vous avez un problème de santé, il doit d'être pris en charge car si ce n'est pas traité, cela peut entraîner des complications.
Observez-vous des différences en matière de prescription entre les téléconsultations des plateformes et celles des médecins généralistes habituels ?
En ce qui concerne les téléconsultations de plateformes, nous constatons une prescription d’antibiotiques 2,5 fois plus élevée que celles des généralistes traitants [14,7 % versus 5,8 %, NDLR]. Cela peut s'expliquer par un réflexe de prudence des médecins qui travaillent pour ces opérateurs de télémédecine. Souvent, ils ne connaissent pas le patient.
De manière générale, la question des bonnes pratiques en matière de prescriptions concerne l'ensemble des médecins et pas seulement ceux présents sur les plateformes. Nous allons travailler avec l'ensemble des acteurs concernés et faire des campagnes de sensibilisation car il y a un vrai sujet de santé publique autour de l'antibiorésistance.
Nous observons aussi que le taux de re-consultation à 15 jours est légèrement supérieur pour les plateformes. Il s'élève à 25 % contre 21 % pour les téléconsultations assurées par les médecins généralistes. Dans le cas de consultations en présentiel, ce taux s'élève à 17 %. La différence n'est donc pas flagrante et elle s'explique notamment par le fait que les médecins des plateformes ne connaissent pas bien les patients.
Et s'agissant de la prescription d'arrêts de travail ?
La part des téléconsultations faisant l’objet d’une prescription d’arrêt de travail atteint 10,7 % pour les médecins généralistes et 6,4 % pour les plateformes. Si on ne regarde que les patients pour lesquels les généralistes ne sont pas les médecins traitants, cela monte à 15,6 %. Concernant la durée des arrêts initiaux (et en excluant les renouvellements qui n’existent quasiment pas pour les plateformes), c’est 3,6 jours pour les généralistes et 2,6 jours pour les plateformes.
Quelle est votre position sur la téléconsultation ?
L'Assurance-maladie considère que la téléconsultation doit être reliée au système de santé et au parcours de soins du patient. MG France a déjà pointé un certain nombre de risques liés à cette pratique. Nous devons y être attentifs et surveiller que les règles de qualité et de suivi soient les mêmes que celles que nous attendons des médecins en cabinet. Tout ça doit se faire en transparence avec les syndicats de médecins libéraux et avec les opérateurs de télémédecine.
La téléconsultation est un outil d'accès aux soins qui doit trouver sa place dans le système mais qui doit être régulé. Comme l'a récemment rappelé le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, cette pratique doit être effectuée dans des lieux dédiés à la santé, et non pas dans des gares ou des supermarchés.
*Au total, 1,4 million de téléconsultations pour quelque 78 000 Franciliens de plus de 16 ans ont été passées au crible
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