LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous me parler de votre parcours en France et de ce qui vous a motivé à choisir l’Australie ?
Pr JOSSELIN HOUENOU : J’ai terminé mes études de médecine en 2004 et exercé comme psychiatre adulte dans le secteur hospitalo-universitaire, principalement à l’hôpital Henri-Mondor (AP-HP), à Créteil. J’ai été chef de clinique, praticien hospitalier puis professeur des universités, avec une activité partagée entre la clinique, l’enseignement et la recherche, notamment sur le trouble bipolaire en imagerie cérébrale. J’avais déjà fait un séjour au Canada pour de la recherche, et mon épouse et moi voulions repartir à l’étranger. On a envisagé les États-Unis mais les démarches étaient trop lourdes.
Finalement, un cabinet de recrutement m’a contacté pour un poste à Sydney. Les conditions de vie y étaient bonnes et c’était plutôt facile d’y exercer avec un diplôme français. L’offre à Sydney n’a pas abouti mais j’ai ensuite candidaté à Melbourne pour un poste qui, comme en France, combine activités hospitalière et universitaire.
Je n’ai pas encore commencé à exercer mais je participe aux réunions de service pour préparer mon arrivée à l’hôpital. Côté recherche, je démarre un projet à l’université de Melbourne sur le trouble bipolaire, combinant imagerie cérébrale et données issues de montres connectées, avec une première phase internationale avant d’intégrer des données australiennes.
Avez-vous rencontré des difficultés sur le plan administratif ?
Il y a quelques étapes spécifiques. Pour un médecin spécialiste, il faut d’abord passer par une évaluation auprès d’un collège professionnel. Ce collège évalue si le cursus de formation suivi en France est équivalent à celui en Australie. Comme ils ont peu l’habitude des dossiers français, l’évaluation a pris un peu de temps. Leur système est calqué sur le modèle britannique, donc ils sont surtout familiers des cursus du Royaume-Uni, de l’Inde ou de Hong Kong.
Il faut aussi fournir un grand nombre de documents, tous traduits, certifiés et notariés. Les démarches sont strictes mais bien balisées. À noter : pour entamer la procédure, il faut déjà avoir une offre d’emploi. Et l’évaluation prend en compte des critères spécifiques, comme une expérience auprès des populations indigènes. Mon équivalence a été acceptée et je suis en train de finaliser les démarches pour l’inscription au Medical Board of Australia, qui dépend de l’AHPRA [Australian Health Practitioner Regulation Agency, NDLR], l’organisme de régulation des professions de santé ici.
Avez-vous déjà pu observer des différences notables entre les systèmes de santé français et australien ?
Le système de santé australien est mixte : un secteur public, Medicare, qui couvre une partie des soins mais avec de longues listes d’attente, et un secteur privé très cher. Côté privé, les consultations de psychiatrie sont très chères – jusqu’à 500 dollars [250 à 300 euros, NDLR] – et peu remboursées par Medicare. Seules les personnes disposant d’une assurance santé privée, souvent coûteuse, peuvent y accéder. Cela crée de fortes inégalités, notamment pour les patients souffrant de troubles psychiatriques sévères. En revanche, la disponibilité des médicaments est bien meilleure qu’en France. Autre différence importante : ici, les hôpitaux et les universités fonctionnent de manière très séparée, ce qui complique parfois les collaborations entre la clinique, l’enseignement et la recherche.
Comment la psychiatrie est perçue en Australie ?
La psychiatrie bénéficie ici d’une image très positive, notamment par rapport à d'autres spécialités médicales. Ce n’est pas forcément le cas en France. Par exemple, dans l’État du Victoria, la psychiatrie est l’une des spécialités les plus convoitées par les internes. Tous les postes d’internat y sont assurés, ce qui contraste avec la situation en France, où il est souvent difficile de les pourvoir.
Dans la population générale, la psychiatrie est aussi très bien vue. Cela s’explique en partie par des décennies de sensibilisation à la santé mentale, avec un fort engagement associatif : campagnes d’affichage jusque dans les toilettes publiques, événements sportifs caritatifs, etc.
Cela dit, il existe des difficultés similaires à la France : manque de lits, de personnel en psychiatrie, et des tensions selon les États. En Nouvelle-Galles du Sud, par exemple, les psychiatres du public sont en grève depuis janvier à cause de conditions très dégradées. Les trois quarts ont démissionné ou menacé de le faire, faute de moyens suffisants, d’effectifs adaptés et de rémunérations correctes. À Sydney, le coût de la vie est particulièrement élevé.
En psychiatrie, il y a peu de lits d’hospitalisation. Par exemple, dans le service où je vais travailler, la durée moyenne de séjour est de 11 jours, contre environ 28 en France. Ce manque de lits favorise un phénomène de revolving door : des patients sortent trop tôt, restent instables, et sont réhospitalisés rapidement. Les pathologies sont globalement les mêmes qu’en France, mais l’addiction à la méthamphétamine (ice ou cristal meth) est ici très présente et pose de vrais enjeux cliniques.
Combien sont rémunérés les psychiatres en Australie ?
La psychiatrie est valorisée et cela se reflète dans la rémunération : elle se situe dans la tranche haute des spécialités médicales en Australie, alors qu’en France, elle est plutôt en bas de l’échelle. Pour un spécialiste à l’hôpital public, la rémunération tourne autour de 200 dollars de l’heure [110 euros, ndlr]. Beaucoup de psychiatres sont attirés par le secteur privé, où les revenus peuvent être bien plus élevés. Un exemple concret : il y a un véritable engouement en ce moment pour les évaluations du TDAH à distance, en pratique libérale. Ces consultations peuvent se facturer entre 400 et 500 dollars de l’heure.
L’Australie recherche-t-elle des médecins ?
Oui, il y a une forte demande en médecins dans la plupart des spécialités cliniques. La population australienne augmente rapidement, notamment grâce à l’immigration, et cela fait grimper les besoins en soins. L’Australie a la taille de l’Europe. Avec 28 millions d’habitants, il y a de l’espace et une dynamique de croissance. Toutes les spécialités recrutent activement, sauf peut-être la dermatologie, qui a longtemps été prioritaire à cause d’un taux de mélanomes dix fois plus élevé qu’en France. Mais avec les nouveaux traitements, la pression dans ce domaine s’est un peu relâchée. La majorité des médecins qui s’installent ici viennent de pays anglophones ou d’anciennes colonies, comme l’Inde, le Sri Lanka ou Hong Kong.
Et en termes de conditions de travail ?
Ce qui m’a surpris, c’est l’importance donnée à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Ce n’est pas propre à la médecine, c’est culturel. À l’hôpital, une demi-journée correspond précisément à 3 h 30, et les horaires sont strictement respectés. En dehors de ces créneaux, il est difficile de joindre les professionnels, et c’est totalement admis. Il y a peu de gardes car elles sont principalement assurées par les internes, plus nombreux et mieux rémunérés qu’en France, même s’ils se plaignent aussi de la charge de travail. L’université suit la même logique : ici, je ne reçois jamais de mails le soir ou le week-end, ce qui serait impensable en France.
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