L’ancien député Frédéric Valletoux a été nommé ministre délégué à la Santé. Cela vous inquiète-t-il ?
Forcément un peu, oui ! Aujourd’hui encore, dans ses premières déclarations, il reste sur une ligne assez coercitive avec une volonté d’obligation de permanence des soins ambulatoires pour les médecins [en cas de carence, NDLR]. J’espère que nous pourrons le rencontrer rapidement et qu’il saura nous écouter. Nous souhaitons qu’il sorte de cette menace de coercition, qui ne semble pas être la ligne du gouvernement. Nous attendons également du ministère de la Santé qu’il poursuive son travail sur la 4e année d’internat et que les textes réglementaires paraissent enfin, j’espère au moins avant la fin de mon mandat en juillet !
Quels sont les textes manquants sur cette quatrième année d’internat de médecine générale ?
Nous attendons d’être fixés sur la rémunération à l’acte que les ministères successifs nous ont promis. Nous souhaitons aussi des règles du jeu au sujet de la thèse pour savoir si une dérogation sera permise. La mission 4e année avait proposé une dérogation d’un an, l’Isnar-IMG réclame trois ans. Des précisions sur la participation des internes à la PDS-A sont aussi nécessaires. Celle-ci devra se faire uniquement sur la base du volontariat avec une juste rémunération. Il y a fort à parier que si les conditions – formation, rémunération etc. – sont au rendez-vous, les futurs médecins y participeront.
Mais la Conférence des doyens s’est opposée à l’introduction d’une rémunération à l’acte pour les docteurs juniors de médecine générale, au nom de l’équité entre les internes…
En se positionnant ainsi, les doyens s’opposent à une amélioration de la qualité de vie des internes. Ce que nous proposons est une vraie innovation mais cela nous semble le modèle le plus juste. Si cette avancée peut encourager les internes des autres spécialités à faire évoluer le modèle du Dr Junior, nous ne pourrons que nous en féliciter !
Nous sommes par ailleurs favorables à ce que l’ensemble des spécialités soit revalorisé. En ce qui concerne la médecine générale, la mission sur la 4e année avait suggéré d’octroyer aux internes une part fixe correspondant aux émoluments forfaitaires mensuels perçus par les Drs Juniors [1 900 nets, NDLR] avec une rétrocession de 20 % des honoraires par acte réalisé. L’Isnar-IMG réclame une rétrocession plus haute. Il est aussi nécessaire de diminuer le nombre de consultations maximum par jour. La mission a proposé un plafond de 30 actes par jour, nous demandons 25. Cela semble accepté.
Que faire pour ne pas pénaliser les internes en stage de médecine salariée ainsi que les centres de santé, qui risquent de perdre en attractivité ?
Nous avons bien conscience que le salariat attire de plus en plus de jeunes. Il n’est donc pas question de laisser de côté les internes qui se tournent vers ce mode d’exercice ! Pour éviter les inégalités entre étudiants et pour ne pas léser les centres de santé – qui pourraient perdre en attractivité – , il faut adapter le modèle. Concrètement, nous souhaitons que les centres de santé versent un forfait, une sorte de prime, aux internes de 4e année pour valoriser l’activité qu’ils génèrent. Rien n’est acquis pour l’instant mais cette solution a déjà été soumise aux centres de santé. Selon nos calculs, cette prime devrait s’établir dans une fourchette de 1 500 à 2 000 euros.
Nous souhaitons que les centres de santé versent un forfait aux internes de 4e année pour valoriser l’activité qu’ils génèrent
La nouvelle maquette du DES de médecine générale prévoit la création d’un stage libre au moyen de la fusion du stage de gynécologie et de pédiatrie. Les doyens remettent en cause cette mesure, les pédiatres y sont opposés. Que leur répondez-vous ?
L’argument des doyens et des pédiatres est de dire que notre formation en pédiatrie ne sera pas suffisante si le stage hospitalier est réduit à trois mois contre six auparavant. Nous avons le sentiment qu’ils se cachent derrière cette excuse ; le vrai souci est qu’ils craignent de ne plus avoir de main-d’œuvre à disposition dans les services hospitaliers. Les internes ne sont pas là pour combler le manque d’effectifs humains mais pour être formés en tant que futurs généralistes – dont la société a urgemment besoin.
Il ne faut pas oublier que les internes de médecine générale effectuent deux semestres en ambulatoire en phase socle et en phase d’approfondissement au cours desquels ils sont déjà formés à la santé de l’enfant. Nous avons par ailleurs mené une enquête sur le stage libre pour connaître les envies des internes. Les résultats ont montré que 12 % d'entre eux étaient désireux d’aller en pédiatrie. Avec le stage couplé, cela représenterait à peu près l’équivalent de 200 internes en stage de pédiatrie chaque semestre. Il y a donc de quoi rassurer les pédiatres.
Les internes ne sont pas là pour combler le manque d’effectifs humains mais pour être formés en tant que futurs généralistes
Vous avez diffusé un communiqué très critique à l’égard des doyens, les taxant d’être attachés à un modèle « conservateur », « injuste » et « obsolète ». Avez-vous le sentiment que les doyens sont déconnectés de la réalité des étudiants ?
Au regard des réserves qu’ils ont émises sur la rémunération à l’acte et le stage libre et ce, sans nous concerter, on peut le dire, oui. Ils ont pris le total contre-pied à nos positions sans recueillir notre avis. Je ne vois pas comment ils pouvaient s’imaginer qu’on ne réagirait pas ! Lorsque j’ai rencontré le Pr Benoît Veber pour la première fois, il a insisté sur l’importance d’échanger au sujet de la 4e année. J’y étais très favorable mais je n’ai jamais été conviée. Les doyens ont des brillantes carrières et ne sont pas arrivés là par hasard mais pour construire la médecine de demain, ils doivent écouter les jeunes générations. Je garde l’espoir, peut-être un peu naïf, que nous parviendrons à prendre contact et qu’ils pourront nous écouter.
L’an dernier, trois syndicats d’internes, dont l’Isnar-IMG, ont attaqué 28 CHU pour non-respect du temps de travail. Où en sont ces procédures ? Y a-t-il une amélioration ?
Les procédures avancent et de nombreuses médiations sont en cours entre les CHU et les syndicats locaux et nationaux. Nous espérons que cela pourra aboutir. Certains CHU jouent vraiment le jeu en essayant de mettre en place des dispositifs visant à objectiver le temps de travail. Mais toujours est-il que nous n’observons pas de réelles évolutions sur le terrain. Les résultats de l’enquête sur le temps de travail lancée en octobre 2023 avec FNSIP-IMG et l'Isni sont en cours d’analyse. Hélas, nous craignons de ne pas avoir de changements flagrants par rapport à l’enquête de 2021 ayant montré que la grande majorité des internes dépassaient le seuil légal, avec une moyenne de 58,4 heures par semaine.
Nous travaillons avec la DGOS [ministère] pour mettre à jour une circulaire sur ce sujet. Certains éléments – d’ordre réglementaire – ne pourront pas être modifiés. Mais nous comptons aborder la question du bornage horaire des demi-journées de travail et des demi-gardes. Une de nos revendications est aussi de mettre fin aux 24 heures de travail consécutives, sources d’erreurs médicales. Cela impliquerait d’instaurer des repos de pré-garde si l’interne a déjà fait sa journée de 12 heures.
Une de nos revendications est aussi de mettre fin aux 24 heures de travail consécutives, sources d’erreurs médicales
« Penser l’éthique, panser le soin » est le grand thème de votre 24e congrès. Pourquoi ce choix ?
Déjà, parce que l’éthique est fondamentale lorsqu’on fait le métier de médecin. Nous y sommes pourtant très peu formés pendant nos études, que ce soit en 1er, 2e ou 3e cycle. Il nous a semblé utile que les internes puissent être sensibilisés à ces enjeux. Il est essentiel de mettre l’éthique au cœur de nos relations avec les patients. En tant que jeunes praticiens, nous devons nous poser des questions sur nos principes et nos valeurs afin d’orienter notre exercice futur en plaçant le patient au cœur du soin et de s’éloigner au maximum de l’ancien modèle paternaliste. Nous avons rempli notre congrès en trois semaines cette année, c’est bien la preuve que ce sujet intéresse les jeunes !
Repères
Juillet 2023 : présidente de l'Isnar-IMG
Janvier 2023 : vice-présidente en charge des partenariats à l'Association des internes de médecine générale de Bourgogne (AJMGB)
2022 : début d'internat de médecine générale
2018-2020 : élue UFR à la faculté de médecine de Dijon
2017 : présidente de la corporation des étudiants en médecine de Dijon
2016 : entrée en deuxième année de médecine
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