C’est la première fois que les différents Ordres des professions de santé formulent des propositions communes. D’où vient cette initiative ?
Dr François Arnault : C’est effectivement la première fois que les sept ordres abordent le sujet des contours de métier et l’organisation territoriale des professionnels de santé. Pourquoi maintenant et pas avant ? Car la situation de la population dans certains territoires devient difficilement acceptable, à la fois pour les professionnels de santé, les Français et les pouvoirs publics ! Le fait d’avoir 650 000 patients en affection longue durée sans médecin traitant est intolérable et, éthiquement, pas acceptable. Il aurait été impensable que les Ordres restent sans propositions. Ainsi, cette situation nous conduit à nous réunir et imaginer, sans possibilité d’accroître les effectifs, comment réussir à prendre en charge ces patients. Et ce, tout en sachant que six millions de Français n’ont pas de médecin traitant.
Nous voulons coordonner l’équipe de soins (que ce soit des kinés, pharmaciens, infirmiers etc.) autour du médecin.
Comment se sont déroulés les échanges ?
Dr F.A. : Les discussions ont été longues et animées, cordiales et constructives. Nous sommes partis du patient et des circonstances. Quand un patient a déjà un médecin traitant, nous voulons coordonner l’équipe de soins (que ce soit des kinés, pharmaciens, infirmiers etc.) autour du médecin. Principalement, par des transferts d’actes, en fonction des compétences de chacun, pour que le médecin gagne du temps médical. Il pourra ainsi augmenter sa file active, mais également travailler différemment. Par exemple prendre plus de temps pour les consultations longues (prévention, annonce et suivi de pathologies lourdes) et donner à l’infirmier le soin de prendre en charge une partie des surveillances (constances biologiques, éducation thérapeutique etc.). Ce sont des compétences que peuvent acquérir les infirmiers avec la pratique avancée, par exemple. L’équipe de soins coordonnée autour du médecin est la seule solution dans les circonstances actuelles où les effectifs n’augmentent pas.
Quand un patient n’a pas de médecin traitant, nous souhaitons aller plus loin. Nous avons accepté que la porte d’entrée du soin ne soit pas le médecin et qu’un autre professionnel de santé accueille et évalue la gravité du patient et l’oriente le plus rapidement possible vers une consultation et une prise en charge d’une équipe de soins coordonnée par un médecin. Nous avons également la possibilité d’utiliser le service d’accès aux soins (SAS) ou le service d’urgence le plus proche. L’essentiel est que le patient comprenne qu’il n’est pas tout seul et pris en charge par un professionnel de santé.
Vous entendez qu’il faudra d’autres formations pour les professionnels de santé, comme c’est le cas des infirmiers en pratique avancée ?
Dr F.A. : Les infirmiers en pratique avancée sont le premier maillon et sont un concept intéressant pour ce genre de situation. De même, le pharmacien a de l’expérience : il connaît les pathologies des patients. Mais, manifestement, on lui demande de ne pas dépasser ses compétences… Il existe des formations continues, précises et particulières, que nous pouvons encourager. Sur les territoires où il n’y a pas suffisamment de médecins, nous pouvons également imaginer une télémédecine entre médecin et infirmier. Nous trouverons les coopérations pour que les médecins aient plus de temps médical et voient différemment leur exercice. Ce n’est pas figé !
Il faut que les patients aient conscience, que peu importe l’endroit, il y a une solution d’accès aux soins.
Comment comptez-vous améliorer la lisibilité du système de santé pour les Français, l’une de vos priorités ? La mission Braun semble avoir porté ses fruits à l’hôpital…
Dr F.A. : La mission flash pour les urgences, consistant à réguler les entrées, était une bonne idée. Maintenant, la question est la suivante : comment faire comprendre à la population la coordination que nous prônons ? Il faut, là aussi, le faire avec tous les professionnels de santé, l’Etat dont les ARS. Et surtout, il faut que les patients aient conscience, que peu importe l’endroit, il y a une solution d’accès aux soins. Et il faut le faire vite, pour que ces équipes de soins coordonnées arrivent rapidement. Si les Ordres se mettent d’accord sur un système d’offre de soins, c’est une opportunité historique que tout le monde aille dans le même sens !
Quels outils voulez-vous mettre en place pour garantir une démographie médicale cohérente avec les besoins de la population ?
Dr F.A. : J’ai été maire pendant deux mandats et vice-président d’une communauté d’agglomération de taille moyenne. Je pense que l’organisation du territoire et de ses moyens doit être locale, notamment au niveau des communautés d’agglomérations. Peut-être faut-il leur créer une nouvelle compétence, afin de s’appuyer plus sur elles.
Quid des zonages réalisés par les agences régionales de santé ?
Dr F.A. : Je ne crois pas que le zonage ARS soit le plus pertinent. Dans certaines villes, un côté était en zone sur-dense, l’autre en zone sous-dense et ce à même pas deux kilomètres ! Il faut une analyse territoriale, sans limite administrative. L’échelle CPTS ou MSP est un mode administratif de regroupement de professionnels qui fonctionne. Nous souhaitons également une coordination plus « light », coûtant moins cher, avec les mêmes garanties et protocolisations entre professionnels de santé.
Vos propositions seront traduites en actes concrets par l’Assurance maladie et l’Etat, ont précisé les ministres dans un communiqué. Quel est le calendrier ?
Dr F.A. : Pour moi, il faut que le problème soit réglé en 2023. Car, encore une fois, nous avons 650 000 personnes en ALD sans médecin traitant ! Il est nécessaire d’avoir quelqu’un qui accueille les patients et trouve une réponse. Les ministres sont clairs, le Président s’est même déplacé en région… Les signaux sont envoyés, reste à ce que le modèle professionnel du médecin soit précisé, le plus vite possible.
Quand François Braun et Agnès Firmin Le Bodo ont présenté le CNR, les sept ordres étaient assis les uns à côté des autres…
Ces propositions communes des Ordres ne sont-elles pas, finalement, votre contribution au Conseil national de refondation (CNR) ?
Dr F.A. : Quand François Braun et Agnès Firmin Le Bodo ont présenté le CNR, les sept ordres étaient assis les uns à côté des autres… J’ai mes priorités : l’offre de soins, la fin de vie et la formation en continue de la profession. L’aspect réglementaire nous échappe, mais nous pouvons soutenir certaines propositions et appuyer le fait que certains décrets ne sont pas encore parus, comme celui sur les kinésithérapeutes et les podologues, qui font partie de la solution globale.
Je soutiens l’initiative du CNR. Il donne un cadre à nos échanges et nous amène à prendre nos responsabilités publiquement. À titre personnel, je suis mandaté et les positions du Cnom, que je défends, ont été votées à l’unanimité au Conseil national. Je n’oublie pas l’intérêt des médecins, qui sortent d’une période extrêmement difficile, comme tous les soignants. Ils sont traumatisés et ont besoin de retrouver du sens et de l’espoir dans leur métier. C’est toute l’opportunité que nous donne le CNR !
Je pense que le contexte parlementaire rend aujourd’hui possible la coercition.
Quatrième année d’internat, accès direct aux IPA, coercition… Ces derniers jours a été discuté le PLFSS en commission des Affaires sociales. Êtes-vous inquiet ?
Dr F.A. : Oui, je suis inquiet. Je pense que le contexte parlementaire rend aujourd’hui possible la coercition. Je peux comprendre les réflexes d’élus, l’ayant été, mais c’est une fausse bonne idée. Aucun pays d’Europe n’a réussi à la mettre en œuvre. Si l’on adopte cette mesure, les jeunes vont s’éloigner du métier de médecin généraliste, alors qu’ils sont favorables au partage de compétences avec les autres professionnels. Est-ce qu’en 2022, peut-on obliger un médecin à s’installer quelque part plutôt qu’ailleurs… franchement ? Je pense que, globalement, il faut avoir conscience qu’il faut renforcer l’attractivité du métier. Les jeunes ne veulent plus le même exercice que les anciens. Nous les écoutons et il faut faire attention à ce qu’il n’y ait aucune contrainte. D’ailleurs, sur la quatrième année, discutée actuellement, nous sommes attachés au Cnom à ce qu’elle soit vraiment une année de professionnalisation encadrée, de manière universitaire et pas une installation brutale. Je suis également inquiet que la population reproche aux soignants la difficulté d’accès aux soins. Ce sont les décisions des années 1980 qui nous ont amenées là…
Vous avez parlé du sens à recouvrer pour les professionnels de santé. Vous, Dr François Arnault, quel est le sens de votre engagement à l’Ordre des médecins ?
Dr F.A. : Au début de mon mandat, j’ai dit : « je n’ai pas de chance ». Et en fait, aujourd’hui, je me dis que j’ai beaucoup de chance d’arriver à un moment où l’on va peut-être redéfinir de façon positive le métier de médecin ! Mon engagement a donc beaucoup de sens et il est de longue date : 35 ans dans l’Ordre, en libéral et en hôpital et 12 ans d’engagement politique. J’aime réfléchir à des solutions et la période dans laquelle je me retrouve au poste est assez favorable à ce qu’on puisse agir !
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