La prison est un univers en soi, et les soins n’y sont pas prodigués de la même manière qu’à l’extérieur. Mais ils y sont dispensés par des médecins pleinement engagés dans leur mission. Et si la santé en milieu carcéral se heurte souvent aux lourdeurs administratives ou au difficile respect du secret médical, pour les généralistes concernés, c’est un mode d’exercice dont la dureté n’a d’égale que la richesse.
« Ma mission, c’est d’apporter aux détenus une égalité de soins, comme s’ils n’étaient pas détenus. » Voilà l’objectif que se donne le Dr Édouard Amzallag, chef du service de l’unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) du centre hospitalier Lyon-Sud, qui chapeaute à ce titre les soins délivrés dans plusieurs prisons de l’agglomération. Et le moins que l’on puisse dire est que les médecins généralistes qui s’attèlent à cette mission exercent d’une manière qui a peu de points communs avec la réalité de leurs confrères installés en ville.
Première différence, qui peut passer pour une lapalissade mais est pourtant lourde de conséquences : la population détenue diffère de la population libre. « L’essentiel des personnes détenues sont issues de milieux défavorisés et sont souvent désocialisées, explique François Bès, chargé des questions de santé à l’Observatoire international des prisons (OIP). Beaucoup échappent au système de santé à l’extérieur et arrivent en prison avec des besoins de soins assez forts. » S’ajoutent à cette situation une surreprésentation des problèmes de santé mentale, d’addictions, la problématique du suicide, les pathologies induites par la prison… Autant de facteurs qui retentissent sur le quotidien des généralistes qui interviennent auprès des détenus.
Les équipes qui prennent en charge cette population si particulière sont détachées des hôpitaux : qu’ils exercent à plein temps en prison ou qu’une partie de leur activité se déroule ailleurs, les généralistes concernés sont donc des PH, même si physiquement, leurs bureaux se trouvent dans les établissements carcéraux, dans les fameuses unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP). D’après les derniers chiffres de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS, ministère de la Santé), ils étaient ainsi près de 500 médecins en équivalent temps plein à exercer dans les unités sanitaires.
La surpopulation, frein majeur aux soins
Mais qui dit unité de statut n’induit pas automatiquement monotonie de l’exercice. Bien au contraire. « On ne soigne pas de la même manière quelqu’un qui est en maison d’arrêt ou en centrale », note ainsi Édouard Amzallag. Une différence dictée par les parcours des patients (les maisons d’arrêt sont consacrées à la détention provisoire et les séjours y sont courts, tandis que les centrales sont réservées aux longues peines), mais aussi par les conditions matérielles : les maisons d’arrêt connaissent des taux de surpopulation carcérale élevés, tandis que les centrales sont relativement épargnées par le phénomène.
Si l’on en croit François Bès, la surpopulation est justement « l’un des freins majeurs à l’accès aux soins en prison ». « Il y a de nombreuses missions qui sont normalement confiées aux unités sanitaires et qu’elles n’ont pas le temps de faire », regrette le militant de l’OIP. Celui-ci pointe notamment la question de la prévention, notant par exemple des carences dans des activités telles que le dépistage du VIH. « Le test est normalement proposé lors de la consultation d’entrée, mais c’est souvent un moment où les gens sortent de garde à vue, ils n’ont pas toujours la tête à cela, note-t-il. Le test devrait être proposé ensuite, mais les unités sanitaires n’en ont pas toujours le temps. »
Le secret en question
Autre difficulté quotidienne de la santé en prison : la question du secret médical. « C’est une lutte permanente, avec deux logiques qui s’affrontent, confie François Bès. On a d’un côté la logique pénitentiaire, et de l’autre celle du soin. » Édouard Amzallag résume la situation. « Quand un patient arrive menotté avec trois escortes, vous avez plusieurs possibilités, détaille-t-il. La première, c’est de refuser de le voir, et dans ce cas-là le patient est perdant car le soin n’a pas lieu. Vous pouvez aussi ne rien dire, car la personne vous apparaît comme dangereuse, et là c’est la déontologie qui n’est pas respectée. Et vous pouvez demander aux escortes de sortir, ce qui demande d’obtenir la confiance du patient, mais n’est que la stricte application de la loi. »
Le Lyonnais assure qu’il arrive toujours à se situer dans le troisième cas de figure. Mais pour François Bès, le problème se situe ailleurs. « Tout le monde sait tout en détention, souligne-t-il. Même si les consultations se passent de manière confidentielle, tout le monde voit que le détenu est accompagné à l’unité sanitaire, ou, pire, qu’il y a une extraction médicale. »
Des difficultés de recrutement
Est-ce un effet de ces conditions d’exercice difficile ? L’attractivité de la médecine en milieu carcéral n’est pas au plus haut. « Non seulement le nombre de postes de soignants n’évolue pas au même rythme que la population carcérale, mais en plus beaucoup de postes ne sont pas pourvus, se désole François Bès. La pénurie touche la médecine générale mais aussi la psychiatrie, l’ophtalmologie, les soins dentaires, la dermato, la gynéco… »
La question des ressources humaines peut d’ailleurs tourner au casse-tête. « On a énormément de mal à recruter, confie le Dr Marylène Fabre, chargée des questions de santé pénitentiaire à l’agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine. À Bordeaux, par exemple, qui est pourtant une grande ville, dans un centre pénitentiaire où ils devraient être quatre médecins, ils ont récemment pendant un certain temps été seulement un et demi. C’était un fonctionnement complètement dégradé, qui a heureusement pris fin. »
Un service rendu immédiat
Reste qu’au-delà des difficultés, la médecine en prison peut être une grande source d’épanouissement. « Tout est plus difficile, plus lourd, mais quand les choses marchent, le service rendu est immédiat, et la satisfaction éthique très importante, estime Édouard Amzallag. J’ai souvent des patients qui, une fois sortis, m’écrivent pour me remercier, qui demandent à me voir pour maintenir un lien. »
Le praticien ose même avancer que « par certains aspects, les détenus sont mieux soignés en prison qu’à l’extérieur ». Un diabétique en cavale, par exemple, ne peut pas utiliser sa carte Vitale. L’arrivée en prison est parfois une entrée dans le système de soins. Autre illustration dans le domaine de l’oncologie. « Si on vous découvre un cancer à l’extérieur, le démarrage des soins peut tarder, alors qu’en prison, dans les deux jours, vous pouvez être à l’hôpital, souligne-t-il. J’ai déjà eu des patients à qui on a initié un traitement dix jours après la découverte d’un cancer. » Loin de tout angélisme, Édouard Amzallag souligne cependant que cela ne doit pas faire oublier ce qu’il appelle « la pathogénicité environnementale, c’est-à-dire toutes les maladies générées par la sédentarité, les troubles du sommeil, la perte de vision… » L’enfermement reste l’enfermement.