La majorité des antidépresseurs prescrits pour réduire la douleur chronique n’offre pas de preuves suffisantes de leur efficacité ou de leur innocuité, indique une revue Cochrane publiée ce 10 mai. Fin février, une analyse de 26 revues systématiques, publiée dans le « BMJ », n’avait pas non plus permis de dégager un haut niveau de preuve en faveur de leur efficacité antalgique, quelle que soit l'affection en cause.
À l’époque, le Pr Éric Serra, psychiatre et médecin de la douleur, également vice-président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), avait rappelé au « Quotidien » la complexité de la prise en charge de la douleur et le rôle joué par les antidépresseurs. « L’intérêt des antidépresseurs renvoie à leur efficacité antalgique spécifique sur les mécanismes douloureux neuropathiques et nociplastiques, leur efficacité anxiolytique, leur efficacité bien sûr antidépressive. Cette combinaison thérapeutique illustre la subtilité de leur usage en médecine de la douleur, expliquait alors le chef de service du centre d’étude et de traitement de la douleur (CETD) au CHU d’Amiens. L’aide qu’ils apportent, parfois précieuse, parfois marginale, ne résume en rien la prise en charge. »
Les données de 25 traitements passées au crible
Pour cette revue Cochrane, les résultats de 176 essais contrôlés randomisés portant sur 28 664 patients ont été analysés. La majorité des études étaient contrôlées par placebo (83) ou par un bras comparatif (141). Et, dans la plupart des études, les participants souffrant de problèmes de santé mentale avaient été exclus.
Au total, 25 antidépresseurs différents ont ainsi été scrutés. Les douleurs les plus fréquemment examinées étaient la fibromyalgie (59 études), les douleurs neuropathiques (49 études) et musculosquelettiques (40 études). La durée moyenne des essais contrôlés randomisés était de 10 semaines. « Les essais étaient petits et les preuves étaient pauvres », résume auprès du « Quotidien » Tamar Pincus de l'université de Southampton au Royaume-Uni, autrice principale.
L’analyse des données révèle que seule la duloxétine présente des preuves de « certitude modérée » d’un effet sur la douleur. « La dose standard (60 ml) est égale à la dose élevée, et les preuves suggèrent que cela fonctionne pour les douleurs musculosquelettiques, la fibromyalgie et les douleurs neuropathiques, précise Tamar Pincus. Mais, même pour la duloxétine, il n'y a pas de preuves suffisantes sur l'efficacité et les effets nocifs à long terme. »
Le milnacipran est souvent classé comme le deuxième antidépresseur le plus efficace, mais le niveau de preuves se révèle inférieur à celui de la duloxétine. Pour les autres traitements examinés, dont l'amitriptyline, la fluoxétine, le citalopram, la paroxétine et la sertraline, « il n'y avait pas suffisamment de preuves pour tirer des conclusions solides sur l'efficacité et l'innocuité pour la douleur chronique », soulignent les auteurs, tout en rappelant qu’ils n’ont « pas été en mesure d'établir les effets des antidépresseurs sur les personnes souffrant de douleur chronique et de dépression ».
Des résultats à nuancer pour une prise en charge au cas par cas
Pourtant, dans la population de patients avec des douleurs chroniques, environ 20 % ont également un trouble dépressif caractérisé. « La présence de comorbidités peut justifier le traitement en première intention », juge le Pr Serra, rappelant la nécessité d’une prescription « à des doses efficaces, avec un objectif et une durée de traitement définis ». L’important, estime-t-il, est « d’offrir au patient un ensemble de réponses thérapeutiques, dont les antidépresseurs peuvent faire partie ».
Dans cette optique, « des procédures non médicamenteuses peuvent être remarquablement efficaces, et notamment les activités physiques adaptées qui sont probablement un élément essentiel », explique le médecin de la douleur, même s’il reconnaît que « face à un patient douloureux et fatigué, il n’est pas évident de faire entendre la nécessité d’une activité physique ».
Tamar Pincus apporte un conseil similaire aux médecins : ils peuvent « encourager les patients à s'engager dans des interventions non pharmacologiques, telles que celles qui visent à augmenter l'activité physique. S'ils sentent qu'ils veulent essayer un antidépresseur comme analgésique, essayez la duloxétine. »
Pour l’électrophysiologiste britannique Ryan Patel, les patients concernés devraient « continuer à prendre leurs traitements s'ils fonctionnent pour (eux) ». Et de rappeler, dans un commentaire sur le « Science Media Centre » britannique, que « les systèmes qui régulent l'humeur et la douleur se chevauchent considérablement, ce qui signifie que certains antidépresseurs peuvent soulager la douleur ».
Pour éviter une stigmatisation inutile, « il est beaucoup plus logique de définir les drogues par ce qu'elles font plutôt que par ce qu'elles traitent », poursuit-il, pointant que « les médicaments les plus efficaces pour soulager la douleur (duloxétine et milnacipran) sont les inhibiteurs doubles de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, mais [que] même au sein de la même classe de médicaments, il y aura des différences dans leur efficacité ».
Il insiste sur la nécessité d'essais cliniques « mieux conçus où l'accent est mis sur l'identification des facteurs prédictifs de la réponse thérapeutique afin que la sélection du traitement puisse être personnalisée ».
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