Dossier

Entretien

Dr Agnès Ricard-Hibon : « Aux urgences, un travail plus étroit avec les généralistes s’impose »

Par Camille Roux - Publié le 07/06/2019
Dr Agnès Ricard-Hibon : « Aux urgences, un travail plus étroit avec les généralistes s’impose »

Dr Ricard-Hibon
DR

Soumises à un flux croissant de patients, souvent en sous-effectif, les urgences hospitalières sont en souffrance. Soixante-quinze services sont en grève depuis mars. Les réformes annoncées par Agnès Buzyn, comme le numéro unique de régulation, se font attendre... Le congrès de la médecine d'urgence, qui se tient jusqu'à aujourd'hui à Paris, s’est ouvert dans un climat de crise sans précédent. Selon le Dr Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence, la réorganisation des soins non programmés constitue une priorité. Le désengorgement des urgences passera obligatoirement par un partenariat renforcé avec les médecins généralistes, assure-t-elle.

Des services d’urgence sont en grève dans toute la France. Quel message souhaitez-vous faire passer à la ministre pendant votre congrès ?

Dr Agnès Ricard-Hibon : Les urgences sont confrontées à deux problématiques majeures : une augmentation d’activité et des ressources en berne. Si nous voulons répondre efficacement aux besoins de la population, il nous faut réformer le système avec pour objectif la qualité et la sécurité des soins. Des solutions existent mais elles tardent à venir. Ce mouvement de grève se distingue par la démission de nombreux professionnels. Ce sont des praticiens engagés dans le service public, passionnés par ce qu’ils font, mais qui préfèrent se désengager car ils n’arrivent plus à travailler dans de bonnes conditions. Certains estiment ne plus être en capacité d’assurer le serment d’Hippocrate auquel ils sont attachés. Dans ce contexte de crise, un travail plus étroit avec les médecins généralistes s’impose.

En quoi les généralistes peuvent-ils aider à désengorger les urgences ?

Dr A. R.-H. : Je répète souvent cette phrase : il n’y a pas de meilleur médecin pour le soin non programmé que le médecin traitant. Il connaît le dossier médical du patient et gère ainsi beaucoup mieux sa prise en charge. Reprendre tout à zéro est un facteur de surconsommation. Les patients doivent à nouveau avoir le choix de pouvoir consulter en ville lorsque leur pathologie relève de la médecine générale. Le partenariat entre urgentistes et généralistes pour la régulation médicale marche déjà très bien. Nous espérons également développer cette proximité dans l’effection, dans les CPTS et dans les maisons médicales de garde. On entend beaucoup parler du virage ambulatoire, mais les patients ne sont pas forcément en capacité d’aller dans un cabinet libéral une fois sortis de l’hôpital. La visite à domicile est donc aussi une clé à exploiter. Il nous faut redonner de l’attractivité à cet acte du généraliste, spécifiquement pour les personnes âgées qui finissent souvent aux urgences sans que cela soit adapté. 

Agnès Buzyn propose de rapprocher les maisons médicales de garde des urgences. Qu’en pensez vous ?

Dr A. R.-H. : J’y suis favorable. Quand un patient s’est trompé d’orientation, il est beaucoup plus facile de le réorienter si la maison de garde est proche. Un médecin de famille à proximité des urgences facilite beaucoup le suivi et renforce le service rendu à la population. La réponse aux 31 millions d’appels par an au 15 doit se faire main dans la main avec les médecins généralistes.

Agnès Buzyn a évoqué la possibilité de former davantage d’urgentistes. La question des effectifs est-elle un enjeu ?

Dr A. R.-H. : Nous demandons 480 urgentistes formés chaque année (471 postes étaient offerts aux candidats des ECN pour 2018-2019, NDLR). La réforme du DES de médecine d’urgence permet d’adapter les effectifs à former, mais ce n’est pas le seul sujet de préoccupation. Si on décourage tous les professionnels en laissant l’activité s'accroître avec toujours moins de moyens, la problématique du flux de patients ne sera pas résolue. Il y a aussi le problème de l’aval, avec le no bed challenge. Le nombre croissant d’“hospitalisations brancards accroît la surmortalité (+9 % tous patients confondus, +30 % pour les plus graves). Pour les personnels de l’urgence attachés à une qualité des soins, c’est intolérable et accroît leur risque de démission.

Le poids financier des urgences amène certains à dire qu’il n’est pas dans l’intérêt d’un hôpital de renvoyer les patients vers la médecine générale. Que leur répondez-vous ?

Dr A. R.-H. : Je n’adhère pas à ce discours, qui n’est pas une bonne approche sur le plan purement médical. Si un directeur me donne cet argument, je défendrai, en tant que présidente d’une société savante, l’intérêt du patient. Ce que je vois, ce sont surtout des professionnels soumis à l'afflux d'un nombre croissant de patients alors qu’ils devraient pouvoir se recentrer sur la médecine d’urgence, en priorisant la pertinence du recours aux soins. Or, le montage financier actuel est peu favorable à la réorganisation.

Le député Véran a fait voter dans le dernier budget de la Sécu un forfait de réorientation de 60 euros vers le médecin de garde. Les libéraux ont beaucoup critiqué cette mesure. Est-ce une bonne solution selon vous ?

Dr A. R.-H. : Cette mesure se heurte à des questions de responsabilité. Qui réoriente ? Plutôt que de devoir renvoyer à l’extérieur quelqu’un qui vient aux urgences, le mieux serait de l’orienter au bon endroit en amont. Nous militons dans ce sens pour un numéro unique santé donnant lieu à une collaboration généralistes-urgentistes.

On attend justement des annonces sur le numéro unique de régulation des secours (santé police pompiers). Pourquoi ce retard ? Que pensez-vous du 116 117 que souhaitent maintenir les médecins libéraux ?

Dr A. R.-H. : Ce retard montre que le numéro unique pour l’ensemble des secours est une mauvaise solution. Si les prochaines annonces de la ministre vont dans ce sens, ce serait une catastrophe. Agnès Buzyn a raison de ne pas prendre de décision rapide. La réponse apportée à la population et la disponibilité des effecteurs pour répondre aux besoins doivent aussi être travaillées. Les premiers mots prononcés quand on décroche en régulation sont essentiels pour l’évaluation de la gravité. Plus il y a d’intermédiaires, plus il y a une perte d’informations, de temps, de chance, de pertinence. Concernant le 116 117, je suis assez ouverte tant qu’il renvoie à une même plateforme, le 15, avec urgentistes et généralistes au bout du fil.

La loi santé est en cours d’examen au Sénat. Quelles évolutions majeures en attendez-vous pour réorganiser le système de santé ?

Dr A. R.-H. : Nous restons prudents, car la question de l’organisation des soins non programmés n’est pas tranchée. La réorganisation hospitalière avec notamment les hôpitaux de proximité ne peut fonctionner que si des acteurs de transport sanitaire disponibles répondent à la demande, respectent les décisions de transport des régulateurs et vont au bon endroit.

Les patients sont de plus en plus nombreux à se rendre directement aux urgences. Ont-ils une part de responsabilité dans l’engorgement ?

Dr A. R.-H. : Les patients viennent aux urgences parce qu’ils n’ont souvent pas d’autre choix. Il faut cesser de les culpabiliser pour les recours injustifiés. Les modes d’organisation génèrent les mauvais comportements, pas l’inverse. Aujourd’hui, trois à quatre patients sur dix nous semblent relever davantage de la médecine générale. La régulation médicale en amont sera primordiale dans la réorganisation. Si on ne s’occupe pas de cet enjeu, les CPTS vont être à leur tour très rapidement surchargées. Nous devons mettre en place un tri permettant de réserver la ressource médicale, rare et chère, à ceux qui en ont vraiment besoin.

SOS Médecins défend son expertise

SOS Médecins ne veut pas être oublié de la réforme en cours des soins non programmés. Sur les dix dernières années, le service médical libéral d’urgence à domicile a enregistré une augmentation de 38 % de cette activité. Selon la Fédération SOS Médecins France, les 63 antennes de SOS réalisent 2,5 millions de visites à domicile chaque année et assurent aussi annuellement près de 900 000 actes, grâce à la mise en place de points fixes de consultation.

« Avec notre activité 24 heures/24, nous couvrons la permanence des soins mais aussi les soins non programmés, a rappelé le Dr Pierre-Henry Juan, président de la Fédération. Avant, on parlait de continuité des soins. Le terme a changé mais nous avons une pleine compétence dans le domaine. Nous voyons les malades des médecins traitants quand ceux-ci ne sont pas disponibles, quand ils sont surchargés ou font d’autres missions, précise le président de SOS. Et nous leur faisons un retour d’informations sur leur malade. »
Une façon pour le Dr Juan de se rappeler au bon souvenir des décideurs, à l'heure où la réponse aux soins non programmés passera bientôt par les communautés professionnelles territoriales de santé. Cette perspective inquiète SOS. « Nous craignons la mise en place d’un fonctionnement qui ne tienne pas compte de nos spécificités et d'être mis de côté », a ainsi expliqué début mai le Dr Serge Smadja, secrétaire général de SOS.

Propos recueillis par Camille Roux