L’anesthésie générale sans opiacés est-elle une technique d’avenir ? « En tout cas, il s’agit d’une pratique en plein développement. Au départ, ce sont nos collègues belges qui ont commencé à faire des anesthésies sans opiacés, et, depuis quatre ou cinq ans, cette technique se développe en Europe, explique le Pr Hélène Belœil, anesthésiste-réanimatrice au CHU de Rennes. Tous les jours, j’endors des patients sans opiacés. Et, s’il est difficile d’évaluer avec précision le nombre d’anesthésies faites de cette manière aujourd’hui en France, je constate que cette technique suscite un réel intérêt chez bon nombre de collègues. Je m’en rends compte chaque fois que je fais une conférence sur le sujet. » Le Pr Belœil est l’investigatrice principale d’une étude clinique menée actuellement, dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique, sur un total de 400 patients dans dix centres différents : « Pour l’instant, on en a déjà recruté 200, et on devrait avoir les résultats d’ici à 6 mois environ. Cette étude vise à comparer une anesthésie générale classique (hypnotiques, curare, morphiniques) avec une anesthésie générale sans opiacés. »
Addiction et effets secondaires
Selon elle, il existe différentes raisons à cette évolution vers des anesthésies sans morphiniques : « On sait d’abord qu’il existe aujourd’hui des problèmes d’addiction aux opiacés qui démarrent souvent après une prescription postopératoire mal contrôlée par la suite. Aux États-Unis, c’est devenu le problème de santé publique no 1, avec un très grand nombre de décès chaque année. En France, la situation n’est certes nullement comparable, mais il y a quand même une volonté de moins utiliser ces produits. »
L’utilisation large et à fortes doses de la morphine, comme analgésique de référence en postopératoire a aussi montré ses limites. « On constate d’abord une efficacité moindre sur les douleurs au mouvement. Ensuite, ces produits ont des effets secondaires dose-dépendants (iléus, nausées et vomissements, hypoxémie, sédation) qui peuvent être très invalidants pour le patient et retarder la réhabilitation postopératoire. Or, on le sait, une réhabilitation rapide est aujourd’hui un objectif qu’on recherche de plus en plus en anesthésie. Les opiacés peuvent aussi entraîner une hyperalgésie dose-dépendante, pouvant être une source paradoxale de douleur aiguë et chronique », développe le Pr Belœil.
Face à ces différents problèmes, il est désormais tout à fait possible de ne plus utiliser d’opiacés en anesthésie générale. L’anesthésie sans opiacés est une anesthésie multimodale associant différents médicaments et/ou techniques. « Il faut citer l’anesthésie locorégionale (ALR) en premier lieu. En effet, le blocage des afférences nociceptives et du système sympathique est parfaitement assuré par une ALR, précise la spécialiste. Si la chirurgie ne s’y prête pas, on peut avoir recours à de la lidocaïne administrée par voie intraveineuse. Elle bloque les canaux sodiques ainsi que les décharges de neurones périphériques excités par des stimuli nociceptifs, et inhibe les récepteurs NMDA. »
Stabilité hémodynamique
« Par ailleurs, poursuit-elle, si on utilise des opiacés en anesthésie, c’est n’est pas tant pour traiter la douleur que pour obtenir une stabilité hémodynamique. Or, il est possible d’obtenir cette stabilité avec d’autres médicaments, par exemple des agonistes alpha 2 (clonidine, dexmédétomidine), qui permettent un bloc sympathique direct. Par leurs caractéristiques pharmacologiques (sédation, hypnose, anxiolyse, sympatholyse et analgésie), ce sont des adjuvants potentiels à l’analgésie ou à l’anesthésie multimodale. On peut aussi citer la kétamine, utilisée à petites doses. En antagonisant les récepteurs NMDA, elle permet de prévenir les phénomènes d’hyperalgésie postopératoire. »
En postopératoire, des anti-inflammatoires (dexaméthasone et AINS) peuvent être utilisés. « Les AINS permettent une épargne en morphine d’environ 50 % qui se traduit par une diminution des nausées et vomissements postopératoires, de la sédation et de la durée de l’iléus postopératoire, mais aussi une amélioration des scores de douleur par rapport à la morphine seule », précise le Pr Belœil.
Une étude clinique est en cours sur un total de 400 patients
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