L’iode radioactif fait partie du traitement standard des cancers de la thyroïde à faible risque, et pourtant, son intérêt fait de plus en plus débat. Selon les résultats de l'étude de phase 3 Estimabl2 (1), menée par les chercheurs de Gustave Roussy, de l’Inserm et de l’Université Paris-Saclay et publiée dans le « New England Journal of Medecine » (2), cette technique, utilisée en complément de la résection de la thyroïde, serait inutile.
L’administration d’iode radioactif se déroule dans le cadre d’une hospitalisation de trois à cinq jours. Elle comporte peu d’effets secondaires hormis de rares nausées ou des problèmes des glandes salivaires et lacrymales. Par ailleurs, les grossesses sont contre-indiquées dans les six mois qui suivent un traitement par iode radioactif.
L’ajout d’iode radioactif après une thyroïdectomie est pratiqué depuis plus de 60 ans suite aux résultats d’études rétrospectives ayant montré un bénéfice sur la diminution des rechutes et de la mortalité dans les cancers différenciés de la thyroïde tous risques confondus.
Mais, alors que les cancers différenciés de la thyroïde sont parmi les plus fréquents des cancers endocriniens (90 %) et présentent dans la majorité des cas (75 %) un faible risque de récidive à cinq ans, deux larges études plaidaient pour une désescalade thérapeutique. L'essai Estimabl1 en particulier, publié en 2012 dans le « New England Journal of Medicine », avait déjà montré qu'une forte dose d'iode radioactif (3,7 GBq) pouvait être remplacée par une dose trois fois moins élevée (1,1 GBq), sans que cela ne représente une perte de chance pour les patients à faible risque.
95 % de patients sans anomalie
Dans l'essai prospectif randomisé de phase 3 Etimabl2, 776 patients atteints d’un cancer différencié de la thyroïde à faible risque de rechute (tumeur de stade pT1 de moins de 20 mm, soit la majorité des patients pris en charge en France) issus de 35 centres français ont été suivis pendant trois ans. Tous avaient précédemment subi une thyroïdectomie.
Les patients ont été répartis en deux groupes : ceux à qui un traitement d’iode radioactif (1,1 GBq) était administré après préparation par TSH recombinante (injections), et ceux n’en recevant pas qui bénéficiaient d’un suivi seul. L'objectif de cet essai de non-infériorité était de démontrer que la stratégie sans iode radioactif ne faisait pas moins bien que celle avec.
Au bout d'un suivi de trois ans, plus de 95 % des patients (95,6 % dans le groupe sans iode radioactif versus 95,9 % dans le groupe avec) n'ont eu aucun événement carcinologique, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas présenté d'anomalies morphologiques (adénopathies cervicales ou récidive dans la loge de thyroïdectomie à l'échographie), fonctionnelles (scintigraphie) ou biologiques (élévation de la thyroglobuline ou des anticorps antithyroglobuline, un marqueur tumoral sanguin).
L’équipe du service de médecine nucléaire de Gustave Roussy a constaté, à l’aide de questionnaires, que les scores d’anxiété et de qualité de vie étaient également à des niveaux similaires dans les deux groupes.
« La grande force de cet essai, outre la taille de son échantillon, réside dans sa méthodologie robuste et son fort niveau de preuve », explique la Dr Sophie Leboulleux, première autrice de l'étude. « Même si l’iode radioactif entraîne peu d’effets secondaires à ces doses, les bénéfices pour les patients sont importants puisqu’une hospitalisation peut ainsi leur être évitée », insiste-t-elle.
De nouvelles études en cours
Se passer de l'iode radioactif dans la prise en charge des patients à moindre risque présente ainsi un intérêt économique, en évitant le coût d'une hospitalisation. Pour évaluer plus précisément l'impact d'une éventuelle modification des habitudes, la Dr Leboulleux et Isabelle Borget, statisticienne et économiste de la santé à Gustave Roussy, ont lancé l’étude Costimabl2. Ce travail consiste à croiser les informations cliniques d’Estimabl2 avec les données de remboursement des soins pour l’Assurance-maladie.
La recherche pour alléger la prise en charge tout en maintenant la même efficacité de soins se poursuit avec deux études en cours. L’essai prospectif et randomisé Estimabl3 évalue le bénéfice de l’absence d’un curage ganglionnaire lors de la thyroïdectomie dans ces cancers à faible risque, tandis que l’essai randomisé Intermediate évalue en ce moment l’intérêt d’un traitement à l’iode radioactif basé sur les résultats postopératoires chez les patients à risque intermédiaire de rechute.
(1) Acronyme d'Essai Stimulation Ablation 2
(2) S. Leboulleux et al, New Engl J of Med, 2022. DOI: 10.1056/NEJMoa2111953
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