C'est un cri d'alarme qu'ont lancé les spécialistes du cancer du pancréas réunis à l'Académie nationale de chirurgie. Innovations diagnostiques, thérapeutiques, pharmaceutiques, les besoins de recherche concernent toutes les étapes de la prise en charge d'un cancer au pronostic qui reste sombre.
La tendance régulière à la hausse fait même parler « d'épidémie » dans les pays développés pour un cancer pourtant considéré peu fréquent. « L'incidence a doublé entre 2000 et 2006, puis de nouveau entre 2006 et 2012 », rappelle la Pr Vinciane Rebours, pancréatologue et oncologue digestive à l'hôpital Beaujon (AP-HP). Selon l'Institut national du cancer (Inca), l'incidence est d'environ 14 000 cas par an en 2018 en France, 7 301 chez les hommes et 6 883 chez les femmes.
« L'incidence ne cesse d'augmenter et va continuer à augmenter, prévient la gastro-entérologue. La mortalité de tous les autres cancers a baissé, pour le sein, le côlon, le poumon, mais celle du cancer du pancréas nous saute aux yeux, car elle n'a pas bénéficié des progrès réalisés ailleurs. »
Une maladie multifactorielle
Si le cancer du pancréas reste au 9e rang chez les hommes et au 7e chez les femmes en termes d'incidence en 2018, il se classe en 5e place pour la mortalité par cancer chez les hommes et au 4e chez les femmes. « En 2030, le cancer du pancréas sera la deuxième cause de mortalité par cancer derrière le cancer du poumon, annonce le Dr Louis de Mestier, pancréatologue à l'hôpital Beaujon dans l'équipe de la Pr Rebours. Si on ne considère pas encore aujourd'hui que c'est un problème de santé publique, bientôt on n'aura plus le choix. »
À quoi est dû le phénomène ? Il n'y a pas d'explication franche, hormis les facteurs de risque connus comme l'obésité, le tabac, l'alcool et les antécédents familiaux. « Le vieillissement de la population avec l'augmentation de l'espérance de vie en Occident explique en partie l'augmentation des cas », note la Pr Rebours. L’âge médian au diagnostic en 2018 est de 70 ans chez les hommes et de 74 chez les femmes en France, même s'il tend à se rajeunir un peu à 65-70 ans.
Le tabac est un facteur de risque classique retrouvé dans 20 à 30 % des cas, mais « il n'explique pas l'épidémie actuelle car la consommation est en baisse », estime la cheffe de service. Un antécédent de pancréatite, quelle que soit son origine, prédispose à la survenue d'un cancer. Pour la spécialiste, les facteurs métaboliques et environnementaux - obésité, diabète, nourriture ultratransformée, pollution - pèsent de plus en plus lourd. « Environ 75 % de la population aux États-Unis est en surpoids ou en situation d'obésité, près de 49 % en France », souligne-t-elle, avant de faire remarquer que « dans les zones géographiques les plus polluées, il y a davantage de cas de cancer ».
L'espoir d'un biomarqueur circulant
Il existe également des facteurs de risque génétiques ou familiaux. Sur 100 familles avec plusieurs cas de cancer du pancréas, une anomalie génétique est identifiée pour 20 d'entre elles et sans qu'elle soit totalement spécifique à la tumeur digestive.
Le dépistage disponible aujourd'hui reste très lourd, associant IRM et échoendoscopie sous anesthésie générale. C'est pourquoi il est réservé aux patients à haut risque, potentiellement éligibles à un dépistage, c'est-à-dire ceux qui ont un risque de cancer > 5 % au cours de leur vie ou un risque relatif ≥ 5. Cela comprend les patients porteurs d'une anomalie génétique de prédisposition ou ayant une accumulation de cas de cancer du pancréas chez les apparentés ou ayant une pancréatite chronique génétique en lien avec une mutation de PRSS1.
Les spécialistes appellent alors à intensifier la recherche sur le dépistage. Il s'agit de mieux caractériser l'hétérogénéité de ce cancer et mieux identifier les sous-groupes à risque en identifiant de nouvelles anomalies génétiques, explique le Dr de Mestier. Et surtout, afin de pouvoir l'élargir, les scientifiques espèrent découvrir un biomarqueur moléculaire circulant (ADN, ARN), alors que « beaucoup de personnes en population générale présentent un facteur de risque », souligne la Pr Rebours. Quant à l'imagerie, elle pourrait bénéficier des avancées prometteuses de l'intelligence artificielle (IA), notamment via les modifications du micro-environnement tumoral.
Sortir la génomique de l'impasse
Dépister le plus tôt possible suscite des attentes d'autant plus grandes que la maladie est considérée d'emblée comme systémique et non pas locale. « Même à des stades précoces, il existe des cellules circulantes, explique la Pr Rebours. Les cellules tumorales pancréatiques ont une forte facilité à disséminer très tôt. La maladie est avancée même si ça ne se voit pas, il y a des micrométastases. »
C'est pourquoi la chimiothérapie postopératoire est systématique même pour le traitement des tumeurs locales opérables. La chirurgie est le seul traitement à visée curative mais elle est limitée : seuls deux patients sur dix sont opérables, parfois après chimiothérapie préalable pour réduire les tumeurs borderline, voire association chimiothérapie et radiothérapie (la chirurgie étant alors encadrée par la chimiothérapie avant et après). Pour les 80 % restants, la chirurgie n'est pas de mise. « Dans 50 % des cas, le cancer est d'emblée métastatique, indique le Pr Alain Sauvanet, chirurgien digestif à l'hôpital Beaujon. Dans 30 %, la maladie est localement avancée avec des tumeurs engainées. »
« C'est un travail multidisciplinaire et spécialisé », souligne le Pr Sauvanet, qui appelle à regrouper l'activité dans des centres experts. Gastroentérologues pour la biopsie diagnostique, radiologues pour l'évaluation préopératoire des possibilités de résection (le scanner restant l'examen de référence), oncologues pour les traitements avant et après l'intervention, chirurgiens expérimentés mais aussi radiologues interventionnels en postopératoire en cas de complications travaillent ainsi de conserve. « La chirurgie du pancréas est difficile et expose à des complications potentiellement très graves », note le chirurgien digestif, notamment en raison d'éventuelles résections artérielles ou veineuses.
La recherche doit avancer sur la génomique tumorale pour le dépistage mais aussi pour aller vers une médecine de précision. « Une anomalie génétique est retrouvée dans environ 15 à 20 % des cas, autrement dit il n'y a aucune cible dans 85 % des cas, pointe le Dr de Mestier. C'est un vrai problème. » Et même avec une cible identifiée et un traitement correspondant, par exemple l'olaparib, cet inhibiteur de Parp autorisé en cas de mutation BRCA1/2 dans quatre organes (sein, ovaire, pancréas, prostate), « l'accès aux traitements est difficile en l'absence de remboursement dans cette indication en France. On se retrouve dans des impasses éthiques », déplore le Dr de Mestier.
D'après la conférence de presse de l'Académie nationale de chirurgie du 17 février 2023
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