Les innovations de ces dernières années ont profondément bouleversé la prise en charge du mélanome. L'arrivée des immunothérapies a remis en question les pratiques, tandis que les recommandations changent à un rythme accéléré, parfois trop rapide pour des praticiens, dermatologues et chirurgiens de ville au premier chef, de plus en plus débordés.
Dans ce cancer cutané, selon la Pr Céleste Lebbé, responsable du centre d’oncodermatologie de l'hôpital Saint-Louis (AP-HP), « un traitement adjuvant de pembrolizumab augmente de 20 % le taux de réponse aux traitements », explique-t-elle lors des rencontres organisées par le Syndicat national des dermatologues-vénéréologues*. Les travaux se poursuivent pour optimiser l'utilisation des immunothérapies en association avec la chirurgie. Ainsi, selon les données d'une étude menée par l'Institut national américain du cancer, le fait de répartir les cycles de pembrolizumab (voie intraveineuse) avant (trois cycles) et après la chirurgie (15 cycles) au lieu de les concentrer après la résection chirurgicale augmente les chances de survie à deux ans sans récidive : 72 % contre 49 % pour un mélanome de stade IIIB-IV visible ou palpable.
Les vertus du traitement néoadjuvant
« Il y a des petites métastases que l'on ne voit pas chez ces patients, poursuit la Pr Lebbé. Nous avons donc eu l'idée d'éduquer le système immunitaire tant que les tumeurs détectables sont en place, puis de le renforcer après l'acte chirurgical avec le traitement adjuvant. » Ces données ont rapidement impacté les pratiques. « En juin 2022, les patients atteints de macrométastases étaient encore traités par chirurgie et traitement adjuvant. En septembre, nous avons décidé collectivement, et sans nous concerter, de soumettre nos malades à un traitement néoadjuvant avant de les confier au chirurgien. » Le remboursement du pembrolizumab en néoadjuvant a été obtenu en mars 2023.
L'autre avantage du traitement néoadjuvant, « c'est que le patient est opéré après plusieurs cycles d'immunothérapie, ce qui donne accès à l'anatomopathologie pour connaître précisément la réponse tumorale », ajoute la Pr Caroline Robert, cheffe du service de dermatologie à Gustave Roussy (Villejuif).
Pour les patients qui rechutent malgré l'immunothérapie, de nouvelles pistes sont à l'étude, comme un médicament bispécifique qui se fixe à la fois sur le récepteur des cellules tumorales et le récepteur CD3 des lymphocytes T.
Une connaissance qui doit mieux diffuser
Toutefois, ces nouvelles stratégies thérapeutiques ne peuvent pas être prescrites par n'importe qui et n'importe comment. Les anti-PD1 ne sont pas dénués d'effets indésirables : les études font état d'environ 15 % d'événements de grade 3 ou 4 au cours des trois premiers mois. « Les oncodermatologues doivent rester au centre de la coordination, mais il est important de collaborer avec des oncologues qui ont l’habitude de manier des immunothérapies contre des cancers touchant d'autres organes », juge la Pr Robert.
« Avec ces traitements, on rend service à 20 % des malades, analyse pour sa part la Pr Lebbé. Il y a environ 40 % des malades qui n'auraient jamais rechuté, même sans traitement adjuvant, et 30 % qui rechuteront quoi qu'il arrive. Les données évoluent très vite et je crois qu'on risque de faire des bêtises si on n'est pas immergé à temps plein dans l'actualité de la discipline. »
Autre évolution parfois méconnue des professionnels de santé : les recommandations récentes ne considèrent plus le curage comme systématique en cas de ganglion sentinelle positif. « Les chirurgiens de ville ne sont pas nécessairement au courant et nous adressent parfois des malades après avoir déjà réalisé un curetage ganglionnaire », témoigne la Pr Lebbé.
Des solutions pour améliorer la décision en ville
Depuis quelques années, les centres de cancérologie comme Gustave Roussy, les hôpitaux parisiens Bicêtre ou Saint-Louis se dotent de réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) consacrées à l'immunotoxicité. De telles RCP rassemblent, outre un dermatologue et un chirurgien, le pathologiste de ville. Ce dernier « a un rôle considérable et pourrait le devenir encore plus, prédit la Pr Lebbé. Il n'est pas impossible qu'à l'avenir, le curage soit totalement remplacé par une analyse de biomarqueurs. » L'analyse de l'ADN circulant est une autre piste pour repérer les patients résistants aux traitements.
Les RCP ont aussi pour but de mieux coordonner le double suivi ville/hôpital. Avec l'allongement de l'espérance de vie des patients, il est de plus en plus indispensable que le relais avec un dermatologue de ville soit bien articulé. Or, un tel suivi est compliqué en raison de la démographie médicale actuelle. « Dans plusieurs régions, ce sont les médecins généralistes qui doivent endosser le rôle des dermatologues », rappelle la Pr Lebbé.
Ce problème de démographie a été pris à bras-le-corps par la Dr Laurence Ollivaud, oncodermatologue libérale et présidente du réseau OncoDerm, spécialisé dans la prise en charge de patients atteints de cancers cutanés ou d’effets indésirables cutanés de traitements anticancéreux. « Beaucoup de patients n'accèdent pas à un dermatologue, aussi nous avons mis en place une application mobile, pour que les médecins généralistes puissent télétransmettre des photos à nos réseaux d'oncologues libéraux », explique-t-elle.
Équipes de soins spécialisés
Depuis 2019, des équipes de soins spécialisés en vénéréologie-dermatologie ont également commencé à voir le jour pour faciliter l'accès aux RCP hospitalières et libérales et faciliter le suivi post-chirurgie.
« Certains chirurgiens libéraux ne sont absolument pas au fait des dernières évolutions », martèle la Dr Ollivaud qui, avec OncoDerm, propose aussi une plateforme de téléRCP. Mais ces solutions technologiques ne bénéficient pas d'un fort soutien administratif. « D'un point de vue pratique, les demandes de téléRCP sont facturables comme une demande de téléexpertise, soit 10 euros pour le demandeur, détaille l'oncodermatologue. Mais il y a encore des problèmes d'indemnité de participation aux RCP des médecins libéraux dans certaines régions, notamment en Île-de-France, alors qu'en théorie, des fonds d'intervention régionaux sont censés y être consacrés. »
*« La dermatologie libérale, pionnière des nouvelles organisations de santé », rencontres organisées les 2 et 3 mars par le Syndicat national des dermatologues-vénéréologues (Paris)
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