« L’intensité et la couverture du test PSA sont des facteurs essentiels des tendances à la hausse de l’incidence du cancer de la prostate en Europe. » C’est ce qu’affirme une équipe du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) en association avec des chercheurs chinois, norvégiens, italiens et finnois dans une étude publiée ce 4 septembre dans le BMJ. Les résultats semblent indiquer que les démarches individuelles de dépistage, non cadrées et à l’opportunité, sont à l’origine d’un surdiagnostic en Europe et la hausse du nombre de cas observée depuis quelques années.
Les auteurs se sont basés sur les données issues des registres du Circ (Risc) et sur des données de mortalité rassemblées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’analyse de ces données renforce l’idée selon laquelle il faut des programmes de dépistage, conçus et planifiés à l’échelle des populations afin de minimiser le surdiagnostic.
Une augmentation qui suit celle des dosages
Entre 1990 et 2017, l’incidence du cancer de la prostate a plus que doublé en Europe, de même que le recours au PSA. Pour ce travail, les chercheurs ont pu exploiter des données sur les taux d’incidence annuels du cancer de la prostate chez les hommes âgés de 35 à 84 ans dans 26 pays européens de 1980 à 2017 et d’autres sur la mortalité de 1980 à 2020. A également été effectuée une revue des études sur le recours au test PSA dans 12 pays européens.
Cette augmentation est très inégalement répartie : l'incidence a explosé en Europe du Nord, en France et dans les pays baltes, notamment en Lituanie, où les taux ont été multipliés par huit. « La différence entre les pays a atteint son maximum lors de la période allant de 2000 à 2010 », précisent les auteurs. Les différences entre les incidences les plus hautes et les plus basses étaient de 89,6 / 100 000 en 1985 et de 385,8 /100 000 en 2007 (la Lituanie étant en tête cette année-là avec une incidence franchissant la barre de 400/100 000). En 2005, autre exemple, les incidences allaient de 46/100 000 en Ukraine à 336/100 000 en France, avant de diminuer tout en restant très élevées.
Les taux de mortalité, quant à eux, étaient bien plus faibles en termes absolus, allant de 12 décès pour 100 000 hommes (Ukraine et Biélorussie) en 1981 à 53 pour 100 000 hommes (Lettonie) en 2006. Les écarts entre les taux de mortalité les plus élevés et les plus faibles d'un pays à l'autre restaient relativement contraints au fil du temps: 23,7/100 000 hommes en 1983 et 35,6/100 000 hommes en 2006. Si ce déclin est uniforme à travers tout le continent, et toutes les tranches d’âge, il est à noter que, dans les pays baltes et en Europe de l’Est, la courbe de la mortalité est restée relativement plate. L’incidence du cancer de la prostate variant d’un facteur 20 à travers l’Europe, et la mortalité d’un facteur 5.
Les auteurs reconnaissent que leur étude observationnelle ne permet pas de tirer de conclusions définitives sur d’éventuelles relations de cause à effet. Néanmoins, ils affirment que ces résultats « devraient aider à mieux comprendre l’effet du test PSA sur l’incidence et la mortalité en Europe en mettant en évidence des tendances cohérentes entre les pays […] ». Les chercheurs plaident pour une surveillance et une évaluation minutieuse des avantages et des inconvénients, y compris du surdiagnostic.
La Commission européenne a d’ailleurs récemment recommandé que chaque État membre s’engage dans des recherches et des évaluations en vue de la mise en place et de l’organisation de programmes de dépistage chez les hommes jusqu’à 70 ans.
Des prises en charge moins agressives
Les chercheurs rappellent que « les dommages liés au surdiagnostic sont exacerbés par une prise en charge agressive ». Des améliorations récentes dans la désescalade pour les cancers à faible risque sont toutefois observées : en Norvège, la proportion d’hommes ayant un cancer à faible risque et traités par surveillance active est passée de 20 à 80% entre 2008 et 2021, et seulement 7 % d’entre eux subissent un traitement chirurgical. En Angleterre, ce sont seulement 4 % des patients à faible risque qui sont opérés.
Aux États-Unis, la littérature montre que « l’introduction du dosage PSA dans la deuxième moitié des années 1980 a coïncidé avec une augmentation de l’incidence des cancers de la prostate, suivi d’une diminution attribuée aux recommandations de l'US Preventive Services Task Force » visant à décourager le recours trop systématique au dosage, rappellent les auteurs.
Par la suite, le pays a connu une diminution de la mortalité à partir du milieu des années 1990 suivie d’une période de stabilité, au cours de laquelle le PSA était utilisé dans le cadre d’un parcours diagnostic menant vers des traitements plus performants des cancers au stade avancé. « L’Europe semble reproduire le même schéma, analysent les chercheurs. Ce qui suggère que les mêmes mécanismes sont à l’œuvre avec la même implication de la manière dont le test PSA est employé. » En outre, un schéma similaire avait déjà été décrit avec le cancer de la thyroïde, dans lequel le surdiagnostic est un facteur établi d’augmentation de l’incidence.
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