Environnement

Tumeur du sein : un risque dans l’air ?

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Publié le 18/11/2022
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Selon l’étude Xenair réalisée par le département Prévention Cancer Environnement du Centre Léon Bérard (Lyon) et financée par la Fondation ARC (1), l’exposition à certains polluants atmosphériques augmenterait significativement le risque de cancers du sein. Décryptage des résultats de cet essai de grande envergure, mené sur plus de 20 années.

 La pollution atmosphérique classée cancérogène pour l’être humain en 2013

La pollution atmosphérique classée cancérogène pour l’être humain en 2013
Crédit photo : phanie

En France, 48 000 décès seraient attribuables chaque année aux particules fines. D’ailleurs en 2013, la pollution de l’air (particules fines, benzo[a]pyrène [BaP], cadmium, dioxines, polychlorobiphényles [PCB]) a été classée comme cancérogène certain pour l’être humain par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), avec un lien causal pour le cancer broncho-pulmonaire. Néanmoins, les preuves concernant son effet sur les cancers du sein restaient jusqu’à présent limitées. 

Plus de 10 000 femmes étudiées

L’objectif du projet Xenair était d’évaluer l’association entre le risque de cancer du sein et l’exposition chronique, à faible dose, à huit polluants atmosphériques. Il s’agissait de polluants ayant des propriétés xénoestrogènes (dioxines, BaP, PCB, cadmium) ou pour lesquels l’exposition est quotidienne, comme les particules (PM10 et PM2.5), le dioxyde d’azote (NO2) et l’ozone (O3).

L’étude a inclus 5 222 cas de cancers du sein (diagnostiqués entre 1990 et 2011), appariés à 5 222 témoins indemnes. Ces femmes, âgées de 40 à 65 ans, étaient issues de la cohorte nationale E3N (n = 98 995) et suivies depuis 1990.

Pour chaque polluant, des expositions moyennes et cumulées ont été estimées par femme, de l’inclusion à la date de diagnostic du cancer, en fonction des lieux d’habitations (à l'aide des adresses postales et des cartes d'exposition à la pollution de l'air). L’histoire résidentielle des sujets est ainsi prise en compte sur 22 ans.

« Cette étude est unique par le nombre de polluants étudiés, de sujets inclus et d'années couvertes », souligne la Pr Béatrice Fervers, cheffe du département Prévention Cancer Environnement. 

Cinq polluants avec un risque associé

« Dans cette population, trois des polluants (PCB153, BaP et NO2) sont associés de manière significative avec le risque de cancer du sein », explique Delphine Praud, chercheuse en épidémiologie environnementale (centre Léon Bérard, Inserm). Ainsi, une hausse de l’exposition de PCB153 (de 55 pg/m3), BaP (1,42 ng/m3) et NO2 (10 μg/m3) augmente respectivement de 19 %, 15 % et 9 % le risque de cancer du sein. Une association, à la limite de la significativité statistique, est également retrouvée pour les particules fines : une augmentation de 10 μg/m3 de l’exposition accroît de 13 % et 8 % le risque de tumeur mammaire pour les PM2,5 et PM10.

Aucun lien n’a été mis en évidence pour l’exposition aux dioxines. Pour le cadmium, le risque n’est significatif que pour le cancer du sein tubulaire. Quant à l’ozone, il est toujours en cours d’analyse.

Selon des analyses complémentaires, un risque accru a été observé chez les femmes exposées pendant leur transition ménopausique au BaP et au PCB153, classés tous deux comme perturbateurs endocriniens. 

Respecter la limite d'exposition

« Environ 1 % des cancers du sein de la population Xenair auraient pu être évités si l’exposition au NO2 avait été en dessous du seuil européen de référence de 40 µg/m3 (recommandations 2005 de l’Organisation mondiale de la santé [OMS]) », ajoute Delphine Praud. Si la limite maximale d’exposition de 10 μg/m3 (recommandations OMS 2021) avait été respectée, près de 9 % des cancers du sein auraient été évités. « Cette fraction attribuable au NO2 souligne l’importance de poursuivre les efforts de réduction de la pollution atmosphérique », indique la Pr Fervers. 

En extrapolant ces résultats à la population française, 403 et 3 772 cancers du sein étaient évitables en 2018, avec une exposition au NO2 abaissée aux seuils respectifs de 40 et 10 µg/m3. Ainsi, respectivement 96 et 899 décès auraient pu être épargnés.

En termes de coûts, plus de 280 millions d'euros de dépenses auraient pu être économisés à la société en 2018 en respectant le seuil de 40 μg/m3 pour le NO2, et plus de 2,6 milliards avec le seuil de 10 μg/m3.

D’autres travaux de recherche sont en cours, tels qu’une étude épidémiologique sur les trajectoires résidentielles (projet QHR), ou encore l’évaluation de l’exposition globale à la pollution de l’air aux domiciles, sur les lieux de travail et lors des trajets domicile-travail (APoPCo). Enfin, des projets étudient l'exposition combinée à de multiples polluants de l’air (Emaps), ou l’exposition aux composés des particules fines (Cleopart).

D’après le communiqué de presse et le webinaire du Centre Léon Bérard, le 3 octobre 2022
(1) En collaboration avec l'équipe Exposome et hérédité de Gustave Roussy/Inserm, l'Isped de l'université de Bordeaux, l'Ineris, l'École centrale de Lyon et l'université de Leicester.

Karelle Goutorbe

Source : Bilan Spécialiste