Si le bénéfice des statines en prévention secondaire chez le sujet âgé est bien connu, leur intérêt en prévention primaire après 75 ans suscite des débats, faute de données sur la balance bénéfices-risques. Une étude hongkongaise publiée dans Annals of Internal Medicine penche en leur faveur.
« Chez le sujet âgé ou très âgé, l’opportunité d’introduire des statines en prévention primaire est une vraie question car les maladies cardiovasculaires restent la première cause de mortalité, représentant un tiers des décès environ chez les 85 ans et plus, loin devant les cancers, responsables de 10 à 15 % des décès dans cette tranche d’âge », contextualise la Pr Sophie Béliard, endocrinologue à l’hôpital de la Conception, à Marseille (AP-HM). Alors que la prévention des maladies cardiovasculaires (MCV) est déterminante dans une population vieillissante, les essais randomisés contrôlés en double aveugle incluent très peu de personnes très âgées.
Les praticiens craignent des effets secondaires dans une population fragile et souvent polymédiquée
Pr Sophie Béliard, endocrinologue à l’AP-HM
Des patients âgés sous-traités
En prévention secondaire, le bénéfice des statines est bien établi, quel que soit l’âge. « Une réduction de 20 à 25 % du risque CV est observée pour une baisse de 1 mmol/l de cholestérol LDL », rappelle la Pr Béliard. Mais les patients âgés restent sous-traités dans cette indication. « Plus l’âge est avancé, moins les praticiens prescrivent de statines, voire ils déprescrivent », observe-t-elle. La réticence vient probablement de la « crainte d’effets secondaires dans une population fragile et souvent polymédiquée. »
Deux questions persistent : faut-il poursuivre les statines chez les patients déjà traités ? Et est-il pertinent de les introduire chez ceux qui ne le sont pas ?
Peu de travaux se sont penchés sur l’effet d’un arrêt du traitement. Une étude française (1), menée par le Pr Philippe Giral, de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), en lien avec la Caisse nationale d’assurance-maladie, a analysé les données de patients âgés de 75 ans traités par statines en prévention primaire depuis au moins deux ans. Après un suivi de 2,4 ans en moyenne, 14 % des patients inclus ont interrompu le traitement au moins trois mois. Parmi eux, 5 % ont été hospitalisés pour événement cardiovasculaire aigu. « L’arrêt des statines est ainsi associé à une augmentation de 33 % du risque d’hospitalisation pour MCV », souligne la Pr Béliard.
Les données manquent aussi sur l’opportunité d’une initiation des statines en prévention primaire. Parmi les méta-analyses disponibles, « la plus robuste » (2), selon l’endocrinologue, a été menée par la Cholesterol Treatment Trialists’ Collaboration à partir de 27 essais randomisés. Les statines y apparaissent efficaces chez les personnes âgées avec une baisse de 20 % des événements CV. Mais « en prévention primaire, l’effet semble s’atténuer après 75 ans », poursuit-elle. Aussi, les données utilisées datent des années 1990 et portent sur des populations âgées « qui n’ont pas les mêmes caractéristiques que celles d’aujourd’hui », ajoute-t-elle.
Plus récemment, une étude danoise en vie réelle (3) menée à partir des données du système de santé a évalué l’introduction des statines en prévention primaire chez les 70 ans et plus, par rapport aux moins de 70 ans. Dans les deux groupes, la baisse des événements CV était similaire, de 23 % pour chaque 1 mmol/L de baisse du LDL cholestérol. « Ce sont des données solides en faveur de l’efficacité des statines quel que soit l’âge », résume la Pr Béliard.
Surveillance et faibles doses au début
L’étude hongkongaise (4) va également dans ce sens. Les chercheurs ont utilisé une méthode d’essai émulé, qui consiste à analyser les données de patients dans d'autres essais et à les apparier. Ils ont ainsi inclus les données de 97 462 patients sans statines, appariés à 97 462 nouvellement traités par statines.
Dans tous les groupes d'âge (60-74 ans, 75-84 ans, 85 ans et plus), l'instauration d'un traitement par statines était associée à une incidence plus faible de MCV et de mortalité toutes causes confondues, y compris chez les 85 ans et plus. Et la prescription n’a pas augmenté le risque d’événements indésirables, tels que les myopathies et le dysfonctionnement hépatique.
Ces résultats sont « rassurants », juge la Pr Béliard. « Mais ces patients restent polymédiqués et les statines les exposent à un risque accru de cytolyse, de myalgies voire de rhabdomyolyses. Chez eux, il faudrait sûrement démarrer par de faibles doses et surtout les surveiller », estime-t-elle.
Les résultats d’une étude en cours en Australie apporteront sans doute de nouveaux éléments. Cet essai randomisé en double aveugle versus placebo chez les plus de 70 ans, baptisé Staree, a inclus 10 000 patients sans diabète mais avec un très haut risque CV. « Le suivi est prévu jusqu’à fin 2025 », précise la Pr Béliard.
(1) P. Giral et al., European Heart Journal, 2019. Vol 40, n° 43, p 3516–3525
(2) CTT, The Lancet, 2015. Vol 385, n° 9976, p 1397-1405
(3) G. Corn et al., Annals of Internal Medicine, 2023. Vol 176, n° 8
(4) W. Xu et al., Annals of Internal Medicine, 2024. Vol 177, n° 6
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