PAR LES Drs NELLY DEQUATRE-PONCHELLE ET CHARLOTTE CORDONNIER*
L’ASSOCIATION ENTRE symptomatologie dépressive et maladie cérébro-vasculaire n’est pas récente. Gaupp, en 1905, inventait le concept de « maladie dépressive artériosclérotique » et Folstein et coll. (1), en 1977, montraient que pour un même handicap fonctionnel, les patients admis pour un accident vasculaire cérébral (AVC) développaient plus souvent une dépression que les patients admis pour une pathologie orthopédique (45 % contre 10 %). Cela permettait d’émettre l’hypothèse que la dépression pouvait être une complication spécifique de l’AVC et non simplement un état réactionnel au handicap (1).
La physiopathologie de la dépression post-accident vasculaire cérébral (DPAVC) reste en grande partie méconnue. Deux théories se sont longtemps opposées.
– La théorie « lésionnelle » qui implique que la lésion vasculaire modifie les circuits neuronaux sous-cortico-frontaux mis en jeu dans la régulation de l’humeur (2, 3).
– La théorie « psychosociale », fondée sur le fait que des événements de vie indépendants de la survenue de l’AVC seraient des facteurs de risque de DPAVC avec des difficultés d’adaptation au handicap décrites sous le terme de « coping » dans la littérature anglo-saxonne (4, 5).
Actuellement, on s’oriente plutôt vers un modèle biopsychosocial avec une origine multifactorielle de la DPAVC (6).
La survenue d’une dépression au décours d’un AVC est fréquente puisque sa prévalence a été estimée dans une métaanalyse récente à 33 % (7). Elle est deux à trois fois supérieure à la prévalence retrouvée dans des populations contrôles (8).
Les facteurs prédictifs de survenue d’une DPAVC, les plus fréquemment retrouvés sont : la sévérité de l’AVC, la sévérité du handicap, la présence d’un déficit cognitif au décours de l’AVC et les facteurs sociaux (9).
Il est par ailleurs communément admis que la DPAVC aggrave le pronostic des patients ayant survécu à un AVC. La DPAVC accroît la mortalité au décours de l’AVC (10, 11) et diminue également les chances de récupération fonctionnelle notamment lors de la prise en charge en rééducation (12).
Les recommandations internationales de l’European Stroke Organisation (ESO) de 2008 suggèrent de dépister et de traiter les troubles de l’humeur post-AVC par des antidépresseurs de type inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ou hétérocycliques. Pourtant, peu de patients sont traités car la DPAVC est très largement sous-diagnostiquée (13), notamment du fait de l’absence de consensus sur la méthode optimale de dépistage.
Les données de la littérature concernent quasi exclusivement l’ischémie cérébrale.
Après une hémorragie cérébrale parenchymateuse.
Il n’y a actuellement que très peu de données sur la prévalence, la sévérité et les facteurs prédictifs de survenue de la dépression post-hémorragie cérébrale spontanée (14).
Dans la cohorte lilloise regroupant les patients admis pour une hémorragie cérébrale parenchymateuse spontanée de novembre 2004 à mars 2009 (cohorte PITCH, n = 562) (15), un tiers des patients présentaient une symptomatologie dépressive à 6 mois. Cette prévalence était stable au cours du suivi à 1 et 2 ans et comparable aux données concernant l’ischémie cérébrale. La symptomatologie dépressive serait donc indépendante de la nature vasculaire de la lésion.
Environ 75 % des patients présentaient une symptomatologie dépressive légère (score MADRS compris entre 7 et 19). Les principaux symptômes mis en évidence étaient : la tristesse, la lassitude et les troubles de la concentration.
Les caractéristiques de l’hémorragie n’influençaient pas l’humeur des patients. Cela pourrait être un argument contre la théorie lésionnelle.
L’antécédent de syndrome dépressif et le fait d’être réhospitalisé pendant le suivi étaient des facteurs prédictifs de survenue d’une symptomatologie dépressive.
Le handicap influençait la thymie à 6 mois alors que cela n’était plus le cas ensuite. Cette période pourrait correspondre à une période d’adaptation au handicap.
Le déclin cognitif était associé à la symptomatologie dépressive au long cours. Nous formulons l’hypothèse que les patients présentant un déclin cognitif auraient plus de difficultés d’adaptation au handicap.
La DPAVC est fréquente. Bien que d’intensité légère, elle est souvent décrite comme invalidante par les patients et leur entourage. Elle doit donc être dépistée systématiquement et particulièrement chez les patients à risque, c’est-à-dire les patients ayant un antécédent de dépression, un handicap sévère, les patients avec multiples hospitalisations et ceux ayant un déclin cognitif.
L’efficacité d’un traitement antidépresseur sur l’humeur des patients ayant présenté une hémorragie cérébrale et son impact sur le pronostic reste à évaluer.
* EA 1046 – Lille Université Nord de France, service de neurologie et pathologie neurovasculaire, CHU de Lille
Liens d’intérêt – ND: aucun. CC: essais cliniques (investigateur) : sanofi-aventis (BOREALIS), Photothera (NEST3), Brainsgate (Impact-24). Board : Bayer. Aucun honoraire à titre personnel (Adrinord et DRC, CHRU Lille).
(1) Folstein MF, et coll. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1977;40(10):1018-20.
(2) Robinson RG, et coll. Brain 1984;107: 81-93.
(3) Starkstein SE, et coll. J Neuropsychiatry Clin Neurosci 1991;3(3):276-85.
(4) House A. J Neuropsychiatry Clin Neurosci 1996;8(4):453-7.
(5) Gainotti G, et coll. Br J Psychiatry 1999;175:163-7.
(6) Whyte EM, et coll. Biol Psychiatry 2002;52(3): 253-64.
(7) Hackett ML, et coll. Stroke 2005;36(6):1330-40.
(8) Linden T, et coll. Stroke 2007;38(6):1860-3.
(9) Hackett ML, and Anderson CS. Stroke 2005;36(10): 2296-301.
(10) Morris P L, et coll. Am J Psychiatry 1993;150(1):124-9.
(11) House A, et coll. Stroke 2001;32(3):696-701.
(12) Gainotti G, et coll. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2001;71(2):258-61.
(13) Paolucci S, et coll. J Neurol 2006;253(5):556-62.
(14) Christensen MC, et coll. Cerebrovasc Dis 2009;27(4):353-60.
(15) Cordonnier C, et coll. J Neurol 2009256(2): 198-202.
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