Rassemblés à l'occasion d'une séance dédiée par l'Académie nationale de chirurgie, des spécialistes de la chirurgie pédiatrique, mais aussi de la médecine ORL et de l’anesthésie se sont alarmés des conséquences de l’application trop rapide du décret du 29 décembre 2022. Ce texte relatif aux conditions d'implantation des activités de soins de chirurgie est jugé bénéfique sur le fond : il organise la gradation des soins en trois niveaux (centres de proximité, centres spécialisés et centres de recours) et fixe les conditions à réunir pour qu'un centre puisse pratiquer la chirurgie pédiatrique. Mais il intervient dans un contexte de diminution du nombre de chirurgiens pédiatriques, ce qui fait craindre une période de transition avec des délais d'attente allongés pour les jeunes patients.
« C'est la première fois que les spécificités de la chirurgie pédiatrique sont reconnues spécifiquement », explique la Dr Hélène Le Hors, de l'hôpital Saint-Joseph, à Marseille. Le texte détaille en effet les missions des dispositifs spécifiques régionaux qui doivent constituer le réseau national de chirurgie pédiatrique. « Les chirurgiens pédiatres demandaient la mise en place d'un tel réseau, reconnaît la Dr Le Hors. Mais nous sommes encore peu nombreux à tenter de les mettre en place et à les animer. Ce sera long à construire ! » D'ici à ce que ces dispositifs jouent leur rôle de mise en relation et surtout de formation, les conditions imposées par le décret auront réduit le pool de professionnels.
La chirurgie ORL engorgée
Le Pr Michel Mondain (CHU de Montpellier), président du conseil national professionnel (CNP) ORL et chirurgie cervico-faciale (CCF), partage les inquiétudes de sa consœur : « Si l’on considère les gestes les plus courants comme les opérations des amygdales ou la pose de diabolo, cela représente un volume de 100 000 opérations par an faites pour beaucoup chez des enfants de 1 à 3 ans, explique-t-il. À la suite de la publication du texte, on a observé des diminutions d'activité voire des arrêts d’activité ». En effet, le texte réserve aux seuls chirurgiens pédiatres le droit d'opérer les enfants de moins de trois ans, les chirurgiens d’adultes pouvant, par dérogation dans le cadre de l’urgence, opérer les autres enfants, sous réserve d’avoir reçu une formation initiale en chirurgie pédiatrique, d’en avoir « l’expérience » et d’appartenir à un dispositif spécifique régional (DSR) de chirurgie pédiatrique.
D'après une enquête récente réalisée par le CNP, 6 000 et 30 000 enfants pourraient ne pas pouvoir être pris en charge dans des centres de proximité, ni redirigés vers les centres de recours « qui sont complètement saturés », alerte le Pr Mondain. À Necker, « nous voyons de plus en plus de familles arriver après un long parcours pendant lequel elles n'ont pas trouvé de praticiens pour s'occuper de leurs enfants », abonde la Pr Sabine Sarnacki, cheffe du service de chirurgie pédiatrique viscérale, urologique et transplantation à l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP). Mis en danger par le manque de praticiens, les centres doivent en plus s’adapter aux nouvelles recommandations de pratique professionnelle (RPP) sur l’organisation de l’anesthésie pédiatrique.
Les effets de la réforme du 3e cycle
La chirurgie pédiatrique subit un véritable effet ciseaux, entre l'application de ce décret et un contexte de diminution du nombre de médecins ayant des compétences en chirurgie pédiatrique. « Certaines pathologies sont assez fréquentes et courantes, mais on peut rapidement basculer dans des pathologies plus spécialisées, explique la Pr Sabine Sarnacki. En France, pendant très longtemps, nous n'avons pas vraiment réalisé la gradation des soins, avec des chirurgiens qui exerçaient en CHU ou dans des centres hospitaliers généraux qui avaient une bonne expérience et des structures de ville où des médecins formés sur le tas avaient aussi une solide expérience ».
Ce système a été remis en cause par la réforme du 3e cycle et la filiarisation précoce des internes qui ne se sont pas intéressés à la chirurgie pédiatrique. « On a vraiment perdu une certaine forme de souplesse d'orientation, regrette la Pr Christine Grapin-Dagorno, service de chirurgie infantile, hôpital Robert-Debré (AP-HP). Avant, nous avions des urologues ou des chirurgiens viscéraux qui venaient faire quelques mois en chirurgie pédiatrique et acquéraient des compétences suffisantes pour traiter la grande majorité des opérations ». La suppression du DES de chirurgie générale, grand pourvoyeur de chirurgiens pédiatriques, a également porté un coup au pool de médecins disponibles.
Seule exception : la spécialité de chirurgie orthopédique dont la maquette de DES a gardé 6 mois obligatoires en chirurgie pédiatrique. « En tant que coordinatrice de la chirurgie infantile sur l’île de France, j'ai essayé de maintenir un passage obligatoire en chirurgie pédiatrique pour les internes des différentes spécialités, se souvient la Pr Sarnacki. Mes collègues m'ont répondu qu'ils n'avaient déjà pas assez d'internes et qu'ils ne voulaient pas les voir aller dans d'autres spécialités. » La chirurgie pédiatrique souffre d'un manque d'attractivité : « Un urologue préférera faire une formation spécialisée transversale sur la prescription de médicaments en oncologie que d'aller passer du temps en chirurgie pédiatrique », illustre le Pr Sarnacki.
Alertée par ces constats, l'Académie nationale de chirurgie va se saisir du sujet et produire des recommandations. « Il y a une vraie problématique, des patients attendent de se faire opérer, c'est de la maltraitance, réagit le Pr Hubert Johanet, secrétaire de l'Académie. Je pense personnellement qu'il faut demander à la DGOS que chaque acteur puisse travailler à cette nouvelle organisation de l'offre de soins. »
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