DU FAIT à la fois d’une compréhension approfondie de sa pathologie, des progrès de l’imagerie, et des performances sans cesse améliorées du matériel et des techniques chirurgicales l’utilisation de la chirurgie rachidienne dans la population ne peut qu’augmenter. Cependant la complexité croissante des interventions augmente le risque potentiel, plus particulièrement neurologique, pour les patients, et ce à tous les stades péri-opératoires.
Les assurances et les autorités de tutelle considèrent la Chirurgie orthopédique et a fortiori la sous-spécialité rachidienne de cette discipline comme « chirurgie à risque ». En effet, comme pour toutes les autres chirurgies, mais plus spécifiquement pour celle-ci, le rapport bénéfice/risques doit être mentionné pour permettre au Patient de délivrer en toute connaissance de cause un consentement parfaitement éclairé. L’analyse statistique de données cumulatives de la littérature donne un aperçu chiffré du risque de complications. Toutes catégories confondues, il est de l’ordre d’un peu plus 16 % avec une répartition pondérée différente suivant l’étage anatomique : proche de neuf pour cent au niveau cervical et de dix-neuf pour cent au niveau thoracolombaire.
Une pathogénie mieux étudiée.
En ce qui concerne plus spécifiquement les atteintes neurologiques, les mécanismes lésionnels des structures anatomiques nerveuses sont mieux répertoriés, qu’il s’agisse des causes directes ou indirectes. Pour ce qui est des causes directes, on y retrouve les compressions, les tractions, les lacérations ou les avulsions qui toutes compromettent la continuité du cordon nerveux. Parmi les causes indirectes il convient de citer les phénomènes ischémiques sur la moelle ou sur les racines, qu’elle qu’en soit l’origine : compression, élongation vasculaire ou microvasculaire.
Le recensement des complications neurologiques se fait également selon la chronologie de l’événement, en per- ou postopératoire.
L’importance de l’installation.
Certaines complications opératoires peuvent avoir un rapport direct avec l’opération. L’installation du patient sur la table est importante. Ces interventions étant en effet parfois plus longues que prévu, les points d’appui du patient sur la table doivent être parfaitement vérifiés. Les atteintes neurologiques des membres sont également du domaine où l’installation peut être en cause. Il peut s’agir du plexus brachial susceptible d’être élongé entre ses racines fixes d’émergences du rachis cervical et le fascia axillaire. Des phénomènes ischémiques surajoutés ou une fragilité constitutionnelle de terrain peuvent aggraver de tels dégâts initialement de nature mécanique pure. Ces élongations du plexus brachial peuvent s’observer aussi bien en décubitus ventral que latéral et leur récupération, même à long terme est loin d’être garantie dans tous les cas.
Des atteintes tronculaires aussi bien au niveau des membres supérieurs que des membres inférieurs peuvent également survenir. Ainsi, le nerf ulnaire (cubital) est susceptible de souffrir d’appuis insuffisamment protégés de la région du coude, le nerf fibulaire (sciatique poplité externe) est également particulièrement exposé. Il contourne le col de la fibula dans le segment de son trajet à la région latérale du genou. Ces atteintes peuvent et doivent faire l’objet d’une prévention opératoire de la liberté des zones d’appui dangereuses et d’un dosage parfaitement adapté des éventuelles tractions nécessaires à certaines corrections ou réductions de l’alignement rachidien.
D’autres complications sont moins évidentes, ainsi les atteintes ophtalmologiques. Celles-ci sont redoutables car elles peuvent conduire à une cécité neurologique (ischémie du nerf optique, occlusion de l’artère centrale de la rétine) ou encore cortico-encéphalique, résultant d’un accident vasculaire cérébral. La prévention de ces complications ophtalmologiques doit être opiniâtre, à la fois en protégeant les aires oculaires du massif facial en maintenant une hémodynamique stable et en empêchant les défauts de perfusion des tissus oculaires durant toute la durée de l’intervention.
L’influence du site anatomique.
Au niveau cervical le risque médullaire de la chirurgie rachidienne est évalué à moins d’un pour cent. Certaines pathologies majorent cependant ce risque : myélopathie préexistante, atrophie médullaire sévère…
La surveillance des potentiels évoqués par stimulation électrique transcrâniale ou des potentiels somesthésiques est un moyen avantageux de prévention. Il faut bien entendu y associer la vérification de la qualité technique du geste.
Toujours au niveau cervical, les lésions radiculaires fluctuent de 0,2 à 3 %. La racine C5 est la plus touchée. Dans cette même région anatomique, il existe d’autres risques de complications : traumatisme de l’artère vertébrale avec menace d’accident encéphalique, lésion du nerf laryngé supérieur ou récurent (avec la menace d’une dysphonie), lésion de la chaîne sympathique cervicale (avec menace de syndrome de Claude Bernard Horner).
Au niveau thoracolombaire, la moelle épinière est particulièrement vulnérable dans son segment thoracique. C’est surtout la chirurgie des déformations rachidiennes, par opposition à la seule chirurgie discale qui la menace le plus. Dans la correction de certaines scolioses sévères ce risque peut approcher les deux pour cent. Certaines de ces lésions médullaires peuvent parfois récupérer, en totalité ou en partie, mais ce n’est pas une garantie. Dans la genèse de ces atteintes médullaires interviennent avant tout des phénomènes vasculaires résultant de manœuvres correctrices d’élongation, de distraction quand ce ne pas d’une agression tissulaire médullaire directe par une vis ou un crochet.
L’influence de la technique utilisée.
Les corrections d’ostéotomies transpédiculaires très efficaces pour redresser un trouble de l’équilibre rachidien frontal et sagittal, n’en demeurent pas moins complexes. Elles sont plutôt utilisées en zone lombaire et sont susceptibles de produire des lésions non seulement radiculaires mais aussi médullaires. Les déficits neurologiques peuvent dépasser les dix pour cent, ses risques s’amoindrissent avec l’expérience du chirurgien.
La chirurgie par voie antérieure au niveau thoracique impose des ligatures vasculaires. La connaissance du trajet de l’artère médullaire antérieure d’Adamckiewicz est donc un prérequis à cette chirurgie.
La réduction des spondylolisthésis de haut grade est également susceptible de conduire à une souffrance neurologique dans plus de dix pour cent des cas. Dans certaines situations on se contentera de fixations accompagnées ou non de réduction partielle.
L’influence du matériel.
Tous les implants sont également susceptibles d’induire des dommages neurologiques, qu’il s’agisse de vis, de crochets, ou de cages intersomatiques. Ces dommages étant dus soit au positionnement en cours d’intervention soit à la mobilisation ultérieure de ce matériel lors de la reprise de fonction rachidienne. Dans ce cas, les vis pédiculaires semblent mieux maîtrisées par les opérateurs et ont une fixation plus solide.
Les complications postopératoires.
Après l’opération, la survenue d’une douleur aiguë lombaire peut annoncer l’apparition d’un hématome épidural. Un tel événement plutôt compromettant sur le plan neurologique, peut être dû à l’absence de drainage, à l’usage d’anticoagulants, au caractère tumoral de la chirurgie. Ce risque d’hématome bien qu’estimé aux alentours d’un pour cent n’en demeure pas moins préoccupant.
La brèche durale et également un facteur d’altérations neurologiques différées qui se répercute parfois à l’encéphale (hématome sous-dural, hémorragie intracérébelleuse…)
Une prévention de tous les instants.
L’extrême diversité des situations susceptibles de produire des complications neurologiques en chirurgie rachidienne, impose une formation et une réactualisation permanente des chirurgiens.
La prévention pré-opératoire impose l’usage de supports d’installation parfaitement adaptés et contrôlés par les médecins.
La prévention peropératoire contraint à l’utilisation d’une instrumentation suffisamment complète pour adresser les gestes les plus fins ou au contraire les plus vigoureux. La mise en place des vis pédiculaires, peut se faire à main levée, sur la base de repères anatomiques, avec la seule expérience de l’opérateur, sous guidage radiologique voire par navigation.
La surveillance neurologique peropératoire, quant à elle, peut avoir recours au monitoring des potentiels moteurs ou somesthésiques.
Une collaboration avec l’anesthésiste est également indispensable pour éviter un défaut de perfusion tissulaire avec un risque de souffrance médullaire.
Cette collaboration pluridisciplinaire est encore élargie en postopératoire afin de détecter au plus tôt une complication différée.
Conclusion.
Le risque neurologique en chirurgie rachidienne ne se limite pas au recensement d’un catalogue de complications, il impose également une connaissance de chaque situation de risque avec une évaluation chiffrée de sa fréquence de survenue.
La gestion de ce risque neurologique fait partie intégrante de la chirurgie rachidienne elle est assistée de moyens techniques de plus en plus sophistiqués, que ce soit l’imagerie ou le monitoring.
Mais cette sophistication technique ne pourra cependant en aucune manière se substituer à la vigilance tous azimuts et permanente des opérateurs.
D’après la conférence du Professeur Christian Garreau de Loubresse, CHU Garches.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024