Au cours du diabète, la survenue d’hypoglycémies est généralement perçue comme « le prix à payer » de la quête d’un contrôle glycémique optimal. L’intensification thérapeutique, dès lors qu’elle fait appel aux sulfamides hypoglycémiants ou à l’insuline, expose les diabétiques à la répétition d’hypoglycémies modérées et/ou à la survenue d’hypoglycémies sévères (définies comme des épisodes symptomatiques nécessitant l’assistance d’un tiers).
Les hypoglycémies itératives sont à l’origine d’une prise de poids, ont un impact négatif sur la qualité de vie, sont une source d’anxiété pour le patient et son entourage, et constituent un frein à l’intensification thérapeutique. Ces dernières années ont vu émerger une question cruciale, encore largement débattue : les hypoglycémies, en particulier les hypoglycémies sévères, induisent-elles risque accru de mortalité et/ou d’événements cardiovasculaires ?
Hypoglycémies sévères : une incidence élevée
Les hypoglycémies sévères représentent une cause très fréquente d’admission aux urgences et d’hospitalisation. Même si le risque d’hypoglycémie sévère est plus élevé au cours du Diabète de type 1 (DT1), leur fréquence est loin d’être négligeable dans le Diabète de type 2 (DT2). Dans l’étude ENTRED 2007-2010, environ 10 % des DT2 déclaraient avoir eu au moins une hypoglycémie sévère dans l’année (contre 40 % des DT1). Il est bien montré par ailleurs que la fréquence des hypoglycémies sévères chez les patients présentant un DT2 ancien, traité par insuline, se rapproche de celle retrouvée chez les DT1, proportionnellement à l’ancienneté du diabète et de l’insulinothérapie, ainsi qu’à l’intensité du traitement. Parmi les autres facteurs associés à un risque accru d’hypoglycémie sévère, citons sans être exhaustif : âge avancé, insuffisance rénale, complications microvasculaires, antécédents d’hypoglycémies, troubles cognitifs, IMC ‹ 25 kg/m2, consommation d’alcool, alimentation irrégulière, exercice physique non anticipé, faible niveau d’éducation, résistance à l’intensification thérapeutique…
Hypoglycémies sévères : le prix à payer… jusqu’où ?
Les hypoglycémies sévères peuvent avoir un retentissement immédiat grave (coma, accident de voiture, chutes…) et pourraient également précipiter la survenue d’un IDM ou d’un AVC, bien que le niveau de preuves soutenant cette assertion soit limité. Il est par contre démontré qu’elles peuvent induire des troubles du rythme cardiaque (allongement du QT, bradycardie sinusale, tachycardie ventriculaire ou supraventriculaire…) et pourraient être impliquées par ce biais dans la physiopathologie du « dead-in-bed syndrome » qui survient classiquement chez un jeune patient DT1, indemne de complications, retrouvé au matin, mort dans son lit, sans signe de lutte ou d’agitation, et expliquerait 4 à 6 % de la mortalité des DT1 avant 40 ans (1). Pour autant, le lien entre hypoglycémies sévères et mortalité totale ou cardiovasculaire n’a jamais été prouvé dans le DT1 (2). À l’inverse, des données issues d’études observationnelles et des grands essais d’intervention (ACCORD, ADVANCE, VADT, ORIGIN) prouvent que la survenue d’hypoglycémies sévères prédit de façon indépendante le risque ultérieur de décès et/ou d’événements cardiovasculaires chez les DT2, même si elle n’explique pas l’excès de mortalité observé dans le groupe contrôle glycémique intensif de l’étude ACCORD (2-4).
Causalité ou marqueur de vulnérabilité ?
L’hypothèse d’un lien causal entre hypoglycémie et événement cardiovasculaire est étayée par différentes données expérimentales révélant qu’au-delà de ses effets arythmogènes liés à une décharge brutale de catécholamines, l’hypoglycémie pourrait induire différentes modifications physiologiques (élévation de la PA, stress oxydatif, dysfonction endothéliale, augmentation de facteurs pro-inflammatoires et prothrombotiques, activation plaquettaire…) pouvant contribuer à l’aggravation de l’athérosclérose (6). Pour autant, il n’existe pas à ce jour de preuve formelle du lien de causalité entre hypoglycémie sévère et morbimortalité cardiovasculaire. Plusieurs éléments font douter d’une relation de causalité, comme par exemple le caractère dissocié dans le temps de l’hypoglycémie et de l’événement cardiovasculaire (plus d’un an dans ADVANCE par exemple) ou le fait que les hypoglycémies sévères soient aussi significativement liées au risque de maladies dermatologiques, digestives ou respiratoires. Le lien entre hypoglycémies sévères et mortalité totale ou cardiovasculaire pourrait ainsi être le fait d’une plus grande vulnérabilité. Dans ACCORD et dans ADVANCE, la relation entre hypoglycémies sévères et mortalité est plus forte dans le groupe contrôle que dans le groupe traitement intensif du diabète ; dans ORIGIN, le lien entre hypoglycémies sévères et événements cardiovasculaires est également plus fort dans le groupe contrôle (4). Ceci est à rapprocher de résultats retrouvés en USIC ou en réanimation, montrant que le lien entre hypoglycémies sévères et mortalité est surtout retrouvé… lorsque l’insuline n’est pas utilisée, suggérant que les hypoglycémies chez ces patients sont surtout le marqueur d’état général précaire (7-8). Ainsi, les hypoglycémies prévisibles semblent avoir moins de conséquences cardiovasculaires que celles survenant de façon inopinée, traduisant une situation de vulnérabilité extrême en raison de pathologies sous-jacentes connus ou méconnues (insuffisance rénale, insuffisance hépatique, dénutrition…)
* Endocrinologie, nutrition et maladies métaboliques. Hôpital Nord, Marseille
(1) Halimi S. MMM 2013 ;7:178-84
(2) Bloomgarden ZT et al. Front Endocrinol 2012 ;3:66
(3) Goto A et al. BMJ 2013 ;347:f4533 doi: 10.1136/bmj.f4533
(4) ORIGIN Trial Investigators. Eur Heart J 2013 ;34:3137-44
(5) Gruden G et al. Diabetes Care 2012 ;35:1598-1604
(6) Hanefeld M et al. Cardiovasc Diabetol 2013 ;1:135
(7) Kosiborod M et al, JAMA 2009 ;301:1556-64
(8) NICE-SUGAR Study Investigators. N Engl J Med 2012;367:1108-18
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