La mesure de la fonction rénale est établie sur une « évaluation » : le débit de filtration glomérulaire estimé, ou DFGe. Celui-ci retient, sur le plan international, la normalité lorsqu’il est supérieur ou égal à 60 ml/min/1,73 m2, une valeur en deçà de laquelle on parle d’insuffisance rénale. Mais cette valeur fixe n’est-elle pas erronée, parce que trop élevée lorsqu’il s’agit de sujets âgés (de 65 ans et bien au-delà), alors qu’elle ne fait que refléter le vieillissement, le déclin normal d’un organe, sans pour autant qu’on puisse parler de maladie rénale chronique (MRC), gonflant ainsi les données épidémiologiques et pouvant compliquer la tâche des thérapeutes ? Un groupe de travail composé de néphrologues de plusieurs pays (dont plusieurs Français) a abordé cette question de façon très exhaustive à partir d’une revue approfondie de la littérature (1). Ils insistent sur quelques faits notables : l’absence de lien chez les sujets âgés entre un DFGe abaissé et des lésions histologiques rénales en biopsie. Les donneurs de rein, âgés, soigneusement sélectionnés en fonction de leur bonne santé, ont un DFGe, avant le don, bien inférieur à celui des donneurs plus jeunes pourtant sans maladie rénale.
De plus, les résultats des grandes métaanalyses, dont le CKD prognosis consortium, indiquent que le seuil de DFG au-dessus duquel le risque de mortalité est augmenté n’est pas le même à tous les âges. Chez les personnes jeunes, la mortalité est augmentée à partir d’un DFG inférieur à 75 ml/min/1,73 m2, alors que chez les personnes âgées, elle est augmentée quand il descend sous 45 ml/min/1,73 m2. Il n’existe donc pas de surmortalité chez le sujet âgé dont le DFGe est entre 45 et 60 ml/min/1,73 m2.
Déterminer le pronostic rénal et vital sur le seul DFGe chez les sujets de plus de 65-70 ans (voire plus) est une erreur. Pour ces experts néphrologues, le seuil de DFGe de 60 ml/min doit être reconsidéré chez les sujets âgés puisqu’il ne sépare pas les situations de « vieillissement rénal naturel », des « personnes porteuses d’une authentique maladie rénale ».
Le fait d’avoir moins de sujets âgés en bonne santé diagnostiqués à tort comme ayant une IRC réduirait la prévalence mondiale de l’IRC qui en serait sûrement largement réduite. En outre, l’utilisation d’un seuil spécifique à l’âge pour les personnes plus jeunes pourrait conduire à une identification plus précoce de l’apparition de l’IRC chez elles, à un moment où les lésions rénales progressives peuvent encore être évitables.
Privilégier le débit d’albumine urinaire
En revanche, le débit d’albumine urinaire garde toute sa valeur prédictive tant pour le risque d’IRC, cardiovasculaire (RCV) que de mortalité globale. Un examen qui demeure très insuffisamment prescrit, même en cas de diabète, et qui garde, à tous les âges et à tous les niveaux de DFGe, une forte valeur prédictive de maladie rénale et de RCV.
Il convient donc de permettre aux praticiens de disposer de moyens pratiques simples pour déterminer si un DFGe abaissé chez un sujet âgé est alarmant ou non. Il importe aussi de suivre, dans le temps, la dynamique du DFGe chez un sujet donné, quel que soit son âge, par des mesures régulières, une pente décroissante étant alors le signe d’un réel problème rénal. D’autre part, il faut inciter les praticiens à inclure, dans leur surveillance régulière, un dosage de l’albuminurie chez des sujets à risque, comme les diabétiques, les hypertendus, les vasculaires, les sujets obèses ou ceux ayant un syndrome métabolique, et tout sujet à risque individuel ou familial de néphropathie.
Professeur Émérite, Université Grenoble-Alpes
(1) Delanaye P et al. CKD: a call for an age-adapted definition. J Am Soc Nephrol. 2019;30:1785-1805. doi: 10.1681/ASN.2019030238
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