Les inhibiteurs du cotransporteur sodium glucose de type 2 (iSGLT2) sont des antidiabétiques au mode d’action original, ciblant le rein, et indépendants de l’insulinosécrétion. Ils induisent une glycosurie et une diurèse osmotique. Ils améliorent l’équilibre glycémique en diminuant l’HbA1c de 0,5 à 0,9 % sans provoquer d’hypoglycémie. Ils ont aussi des effets métaboliques favorables puisqu’ils associent une perte de poids (de 2 à 5 kg) à une baisse de la pression artérielle systolique de 4 mmHg, car la glycosurie s’accompagne d’une natriurèse.
Leur mode d’action particulier explique leur efficacité à tous les stades de la maladie.
Ces nouvelles molécules ont dû, comme cela est désormais exigé par la Food and Drug Administration (FDA) et l’European Medicines Agency (EMA), démontrer leur sécurité cardiovasculaire dans de grandes études d’intervention. Ces travaux, publiés au cours des dernières années, ont dépassé leur objectif, en démontrant non seulement la sécurité cardiovasculaire de ces molécules, mais également une protection cardiaque et rénale, qui n’avait jamais été démontrée auparavant. De quoi faire changer le positionnement de la HAS à leur sujet.
LE QUOTIDIEN : Quels sont les nouveaux éléments qui ont poussé la HAS à réévaluer les iSGLT2 ?
PR LYSE BORDIER : La Commission de transparence a initialement considéré que le service médical rendu (SMR) des iSGLT2 était modéré, avec une amélioration du service médical rendu (ASMR) de niveau V (insuffisant). Bien que cette nouvelle classe médicamenteuse ait été mise sur le marché dès 2013 au Royaume Uni, en 2014 en Espagne, en 2012 en Allemagne et en 2015 en Italie, la France a suivi une autre voie, considérant qu’il y avait même une perte de chance potentielle à prendre ces médicaments en raison des retours négatifs de la pharmacovigilance.
Depuis, de nouvelles études ont montré que le rapport bénéfices risques était très important pour le patient diabétique, notamment en matière de protection cardiaque et rénale. La Société Francophone du Diabète (SFD) avait publié un rapport en mars 2019 sur ce point.
Les patients diabétiques et leurs médecins se réjouissent par conséquent que la HAS ait décidé de revoir sa grille de lecture et de réévaluer ces molécules. Outre la commercialisation de la dapagliflozine depuis le 1er avril 2020, la réévaluation de cette classe médicamenteuse a permis de requalifier l’ASMR d’importante.
De leur côté, certaines sociétés savantes américaines vont jusqu’à remettre en cause la place de la metformine en première indication chez leurs patients diabétiques insuffisants cardiaques ou rénaux, préférant la prescription d’iSGLT2 dans certains cas de figure.
Qu’a-t-on appris des études de sécurité cardiovasculaire ?
Plusieurs molécules de la classe des iSGLT2 ont été évaluées et ont notamment fait l’objet d’études de sécurité cardiovasculaire versus placebo, comme l’exigent désormais la Food and Drug Administration (FDA) et l’European Medicines Agency (EMA). Les études Empa-reg avec l’empagliflozine (chez des patients très majoritairement en prévention secondaire), Canvas avec la canagliflozine (avec davantage de patients en prévention primaire) et l’étude Declare-Timi avec la dapagliflozine (chez 40 % de patients en prévention secondaire) ont toutes démontré la non-infériorité des iSGLT2 par rapport au placebo. Mais, surtout, elles ont mis en évidence des bénéfices auxquels on ne s’attendait pas !
Qu’est-il ressorti de plus, de ces études ?
Dans l’étude Empa-reg, il a été noté une baisse de 14 % du Mace (mortalité cardiovasculaire, infarctus et AVC non fatals), une diminution de 38 % de la mortalité cardiovasculaire, de 32 % de la mortalité globale, de 35 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et de 39 % de la progression de la maladie rénale (mortalité rénale, doublement de la créatininémie et/ou passage en dialyse). Dans l’étude Canvas : une réduction du Mace de 14 % et une baisse de la progression de la maladie rénale de 40 %. Dans l’étude Declare-Timi : une réduction de 17 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et/ou de la mortalité cardiaque.
Jamais d’aussi bons résultats sur le cœur et les reins, n’avaient été obtenus ! Enfin, une dernière étude est sortie : Verti-CV, avec l’ertugliflozine, qui a également observé une réduction des hospitalisations pour insuffisance cardiaque.
Qu’en est-il chez les insuffisants rénaux ?
L’étude Credence avec la canagliflozine a été conduite chez des patients diabétiques avec une fonction rénale modérément altérée (56 ml/min de débit de filtration glomérulaire). Par rapport au placebo, les personnes ayant reçu de la canagliflozine ont bénéficié d’une réduction de 30 % du critère composite rénal : apparition d’une insuffisance rénale terminale, doublement de la créatinine, décès de cause rénale ou cardiovasculaire. Enfin, le bras canagliflozine a enregistré une réduction de 20 % du Mace et de 39 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque.
À noter que, pour l’instant qu’en France, les iSGLT2 ne peuvent être prescrits qu’au-dessus de 60 ml/min de débit de filtration glomérulaire, avec la possibilité de les poursuivre jusqu’au chiffre de 45 ml/min.
L’étude Dapa-CKD avec la dapagliflozine a porté sur 68 % de patients diabétiques (32 % de non diabétiques) avec un débit de filtration glomérulaire de 43 ml/min : les résultats montrent une réduction du critère composite rénal de 39 % (doublement de la créatinine, apparition d’une insuffisance rénale, mort rénale ou cardiaque) et de 44 % si l’on retire la mortalité cardiaque, ainsi qu’une réduction de la mortalité toutes causes confondues de 31 %, et de 29 % concernant les hospitalisations pour insuffisance cardiaque et le décès d’origine cardiaque.
Le bénéfice sur le rein s’avère être indépendant du bénéfice glycémique.
Et chez les insuffisants cardiaques ?
L’étude Dapa-HF a porté sur des insuffisants cardiaques avec une fraction d’éjection altérée de 31 %, dont 45 % de patients diabétiques : elle retrouve une réduction de 26 % de la mortalité cardiaque ou de l’aggravation de l’insuffisance cardiaque, une réduction de 30 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque, une diminution de 18 % de la mortalité cardiovasculaire et une baisse de 17 % de la mortalité toutes causes confondues. L’étude Emperor-Reduced avec l’empagliflozine a porté sur des patients insuffisants cardiaques avec une fraction d’éjection encore plus basse (27 %), pour moitié diabétiques : elle montre, là encore, une réduction de 25 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque ou mort cardiaque et une réduction de 50 % du critère rénal.
Ce qui est intéressant, c’est que ces bénéfices existent pour les diabétiques, comme pour les non-diabétiques.
La dapagliflozine a ainsi obtenu un avis favorable de l’EMA le 3 novembre 2020 pour une extension d’indication dans le traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction réduite, avec ou sans diabète en plus du traitement de référence.
Quid des effets secondaires les plus fréquents ?
Certains effets secondaires sont fréquents, mais leur prise en charge ne pose pas de problème difficile. C’est notamment le cas des mycoses (vulvo-vaginites, balanites), dont la fréquence est multipliée par 4 et qui surviennent plutôt en début de traitement.
Elles nécessitent un traitement local, mais non l’arrêt de l’iSGLT2. D’autres effets secondaires justifient des précautions d’emploi, comme le risque d’hypovolémie initiale transitoire, qui peut survenir chez les personnes âgées et/ou sous diurétique de l’anse. Il existe un risque d’hypotension artérielle, d’où la nécessité d’adapter le traitement diurétique lors de la prescription d’un iSGLT2.
Et des effets secondaires rares ?
Plus rarement, des cas d’acidocétoses euglycémiques ont été décrits. En effet, la prise d’iSGLT2 entraîne une augmentation du glucagon et des corps cétoniques, mais sans que la glycémie soit très élevée, ce qui risque de faire méconnaître le diagnostic. Une perte de poids rapide, des nausées, des vomissements, une soif, une polypnée, une fatigabilité, un goût métallique dans la bouche, doivent y faire penser. Le dosage des corps cétoniques, facilité par les lecteurs de glycémie capillaires qui l’autorisent, permet de poser le diagnostic.
La prise en charge repose sur l’arrêt du traitement, la mise en route d’une insulinothérapie et le traitement de la cause déclenchante (infection par exemple). Les facteurs favorisants sont l’insulinopénie ou l’augmentation des besoins en insuline en raison d’une chirurgie par exemple, raison pour laquelle la prise de dapagliflozine doit être interrompue trois jours avant toute intervention chirurgicale. Ce risque nécessite donc une bonne information du patient.
Une seule étude a retrouvé des effets secondaires inexpliqués, de quoi s’agit-il ?
Dans l’étude Canvas seulement, un doublement du risque d’amputation distale (orteils) a été retrouvé sans que l’on puisse en expliquer parfaitement le mécanisme. L’EMA stipule de vérifier régulièrement l’état des pieds et de consulter immédiatement en cas de symptôme : plaie œdème, douleur, décoloration. L’étude Canvas a également observé une légère augmentation du risque de fracture.
Pourquoi la FDA a-t-elle lancé une alerte ?
Quelques très rares mais graves cas de gangrène de Fournier, survenant environ 9 mois après l’instauration du traitement, ont été notés : il s’agit d’une infection gravissime (une fasciite nécrosante périnéale à développement rapidement progressif), nécessitant une chirurgie parfois mutilante et une antibiothérapie précoce. Les patients doivent donc être avertis qu’ils doivent consulter immédiatement en cas de douleur, de sensibilité, d’érythème, d’œdème dans la région génitale ou de fièvre.
Quelles sont les précautions à prendre lors de la prescription d’un iSGLT2 ?
La prescription se fait initialement par l’endocrinologue ou l’interniste, mais le généraliste peut renouveler le traitement. Il est donc essentiel de bien communiquer avec lui, notamment pour l’informer des possibles effets secondaires, de la surveillance du traitement et de la nécessité de l’arrêter trois jours avant toute chirurgie. Le patient doit aussi être informé pour savoir quand consulter son généraliste et ne pas laisser évoluer un possible effet secondaire.
Que retenir des iSGLT2 ?
L’arrivée sur le marché de cette nouvelle classe thérapeutique va permettre de combler un besoin médical jusqu’alors non couvert de protection cardiorénale. La place de ces molécules dans la stratégie thérapeutique sera précisée dans les futures recommandations de la HAS et dans la prochaine prise de position de la SFD, dont la mise à jour est attendue pour la fin 2021.
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