Dr Caroline de Kerguenec (hôpital Beaujon, Clichy) : « Détectée trop tard, l’hémochromatose a des conséquences irréversibles »

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Publié le 05/06/2024
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Maladie plus fréquente en Europe que dans le reste du monde, l’hémochromatose familiale homozygote touche environ une naissance sur 250 en France. Sa présentation clinique étant peu spécifique, les patients pâtissent fréquemment d'un retard diagnostique. À l’occasion de la semaine mondiale consacrée à cette pathologie (du 1er au 7 juin), le point avec la Dr Caroline de Kerguenec, du centre de compétence des hémochromatoses et autres maladies métaboliques du fer à l’hôpital Beaujon à Clichy (AP-HP), qui recommande un dépistage chez l'adulte à partir de 20 ans.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Qu'est ce qui fait de l'hémochromatose une maladie peu évidente à diagnostiquer ?

Dr CAROLINE DE KERGUENEC : La surcharge en fer secondaire à une hyperabsorption du fer alimentaire, consécutive à un déficit en hepcidine d’origine génétique, se traduit dans un premier temps par des signes peu spécifiques : fatigue et douleurs articulaires, en particulier au niveau des mains, mais aussi des hanches, genoux, chevilles, etc. Le rachis, en revanche, est préservé.

Ce n'est qu'au bout de plusieurs années qu'apparaissent des symptômes plus caractéristiques tels qu’une atteinte du foie d'abord détectée sur des perturbations du bilan sanguin hépatique, évoluant vers une fibrose voire une cirrhose. Cette surcharge en fer a aussi un potentiel carcinologique et le risque de carcinome hépatocellulaire est plus important que pour d'autres hépatopathies chroniques. Plus tardivement, il y a également un risque de diabète insulinodépendant, et enfin une cardiopathie.

Sur quoi doit se fonder le diagnostic ?

Très simplement sur la biologie : un bilan du fer permet de détecter une hyperferritinémie (>300 ng/ml chez les hommes et les femmes non réglées et plus de 150 ng/ml chez les femmes réglées). Si cette hyperferritinémie est associée à un coefficient de saturation de la transferrine supérieur à 45 % , contrôlé à deux reprises et en l'absence de contexte d'éthylisme chronique, de syndrome métabolique (surpoids, HTA, dyslipidémie et/ou diabète), de syndrome inflammatoire ou d’infection, de maladie hématologique ou de cancer, on peut évoquer une hémochromatose et la confirmer par une analyse génétique chargée de détecter la mutation homozygote C282Y du gène HFE.

Vous recommandez un bilan martial complet entre 20 et 25 ans. Quel bénéfice cela apporterait-il ?

Plus on découvre la maladie tard, plus le patient risque de souffrir de conséquences irréversibles. Avec le traitement, l'asthénie peut diminuer jusqu'à disparaître et la fibrose hépatique peut régresser. Les douleurs articulaires malheureusement répondent moins bien au traitement, le diabète ou la cardiopathie une fois installés ne régressent pas… Il est donc important de dépister à l'âge adulte, et le plus tôt possible. Malheureusement le récent « Mon Bilan Prévention » entre 18 et 25 ans proposée par la Sécurité sociale ne comprend pas de bilan biologique systématique. En revanche, nous avons des patients qui nous sont envoyés par la médecine du travail après les bilans de santé obligatoires.

On a pourtant une prise en charge efficace et très bien tolérée : la saignée à hauteur de 7 ml de sang par kg de poids corporel. On commence par un traitement d'attaque, entre 300 et 500 ml par semaine pour dépléter la surcharge en fer intra-hépatique, puis une saignée tous les deux à quatre mois pour compenser l'apport de fer excédentaire. Après chaque saignée, le sang se renouvelle et il y a une déplétion de l’excès de fer du foie pour assurer ce renouvellement. Le but est d'atteindre un taux de ferritine de 50 ng/ml. La saignée peut se faire à domicile, en cabinet d'infirmier, ou à l'hôpital, et depuis le 1er mars 2019, il est possible de la faire sous forme de don-saignée dans tout établissement français du sang (EFS) fixe, en l'absence de contre-indication, dès que l'on dispose d'une ordonnance indiquant avoir déjà fait au moins cinq saignées.

Il existe aussi des chélateurs du fer, mais le seul médicament à disposer d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication, le Desferal, n'est pas très pratique car il nécessite une perfusion de nuit pendant 12 heures. Sa prescription est indiquée lorsque les saignées ne sont pas possibles.

Faut-il organiser des dépistages dans les familles de patients déjà diagnostiqués ?

C'est effectivement recommandé et l'examen génétique est remboursé par la Sécurité sociale, mais on se heurte au problème de la communication au sein des familles. Il faut en parler aux membres de la famille au premier et deuxième degrés : fratrie, cousins, enfants…

Ce n'est pas facile car il faut évoquer une maladie génétique, ce qui peut faire peur, et cela implique que les relations familiales soient bonnes. Et puis il y a la simple négligence. C'est la raison pour laquelle des événements comme la semaine mondiale de l'hémochromatose sont importants pour informer la population générale des problèmes de fer pour que les patients ayant des symptômes ou des personnes de leur entourage familial porteuses de la maladie en parlent avec leur médecin traitant.

Pour en savoir plus sur l’hémochromatose : un site d’information mis en ligne par les centres experts.


Source : lequotidiendumedecin.fr