Qu’en est-il de la formation post-universitaire en endoscopie digestive ?
À la fin de l’internat d’hépato-gastroentérologie, se pose en effet la question de la formation pour les 35 années d’exercice à venir, sachant qu’environ 30 % des connaissances sont obsolètes tous les dix ans. Si la formation initiale est organisée, le parcours post-universitaire, surtout pratique, est assez difficile à instaurer. Renforcée par l’expérience acquise lors de la pandémie de Covid-19, la formation théorique s’accommode bien des webinaires et des formations digitales, complémentaires du suivi des congrès. Ce rôle incombe à la SFED, qui s’en est emparée il y a trois ans. En 2022, deux types de formations, estampillées SFED, couvrent donc l’intégralité des domaines de l’endoscopie. Les masters class de format court (deux jours) combinent les versants théorique et pratique sur modèle animal, mannequin ou simulateur (dilatation de sténose, vidéocapsule, résection de lésions, etc.). Les formations plus longues (un à deux ans) permettent de maîtriser des techniques plus complexes : endoscopie bariatrique, dissection sous muqueuse, échoendoscopie et cathétérisme dans les pathologies bilio-pancréatiques. Elles associent des cours théoriques à des sessions pratiques sur modèle animal, mais également dans des centres experts selon la formule du compagnonnage. Nos formations respectent les critères européens (curriculum de l’European Society of Gastrointestinal Endoscopy-ESGE). La prochaine étape sera d’obtenir la validation de la Haute Autorité de santé (HAS) et des tutelles, afin que ces formations soient certifiées et ainsi valorisées.
Ces formations sont-elles l’une des réponses, de la SFED et de la Société nationale française de gastro-entérologie (SNFGE), face à la volonté d’un certain nombre de chirurgiens digestifs de se mettre à l’endoscopie ?
Ce n'était pas l’objectif, mais c’est finalement opportun. Le problème s’est posé en 2020, à l’occasion de la création de l’acte de dissection sous-muqueuse rectum/œsophage, où le libellé mentionnait qu’elle pouvait être réalisée par des hépato-gastroentérologues, mais aussi des chirurgiens formés à la technique. Or, les hépato-gastroentérologues suivent sept années de formation aux techniques basiques de l’endoscopie (niveau 1 et 2), par exemple à la coloscopie de qualité avec exérèse des polypes. À l’apprentissage de la clinique et du diagnostic, s’ajoute celui du geste endoscopique. Nous estimons que toutes les formations ne se valent pas. Le diplôme universitaire en endoscopie chirurgicale, récemment mis en place, pose un problème. En effet, il prétend former les chirurgiens à un niveau équivalent, en quelques semaines de cours théoriques, assorties de trois semaines de stages pratiques. C’est bien entendu inacceptable, les chirurgiens n’étant pas plus compétents que les gastroentérologues pour apprendre des techniques complexes. C’est aussi gommer des aspects indissociables de notre art, que sont la clinique et la pose d’un diagnostic, dont dépendent les thérapeutiques. De deux choses l’une, soit le niveau d’exigence des formations est abaissé, soit il est maintenu. Mais le risque est de créer une médecine à deux vitesses avec, d’un côté, des médecins hépato-gastroentérologues formés en une décennie sur les plans médico-techniques, et de l’autre, des chirurgiens formés en quelques semaines. Nous pouvons imaginer la réaction de nos confrères si nous décidions, de manière unilatérale, de créer un diplôme de cœlioscopie chirurgicale en trois semaines…
Qui est le juge de paix ?
L’Ordre des médecins refuse cette responsabilité, arguant que chaque spécialité est à même d’apprécier de la qualité de la formation de ses praticiens (alors même que le Conseil national de l’Ordre des médecins se prononce sans problème sur la validité des diplômes des médecins étrangers). La HAS botte en touche, s’estimant illégitime pour valider les compétences. À mon sens, les Conseils nationaux professionnels (CNP) seraient les mieux placés pour évaluer les pratiques. En l’occurrence, le CNP d’hépato-gastroentérologie pourrait se voir confier l’évaluation de la qualité des formations inhérentes à la spécialité en général, et en endoscopie en particulier. Finalement, aujourd’hui, les seuls juges de paix dans cette situation de blocus sont malheureusement les malades, et la littérature scientifique, dont les patients ne sont pas au fait. Une méta-analyse, publiée en septembre dernier (36 études compilant 3 500 832 coloscopies), a montré l’impossibilité de s’improviser endoscopiste digestif en quelques semaines (1). Elle conclut que les coloscopies, effectuées par des chirurgiens ou d’autres endoscopistes, étaient associées à des résultats de qualité inférieure à celles des gastroentérologues.
Que répondez-vous à l’accusation de corporatisme ?
Elle est infondée. Les chirurgiens peuvent pratiquer l’endoscopie digestive, mais nous demandons une équité dans la formation, au nom de la qualité des soins. La chirurgie vit une crise de décroissance, avec de moins en moins d’indications chirurgicales, au profit de l’endoscopie ou de la radiologie interventionnelles. Les spécialités médico-techniques et la préservation d’organes sont l’avenir. C’est justement parce que nous abordons la maladie avec une approche médicale que nous n’envisageons ni thérapeutique, ni technique de la même façon. Savoir analyser une lésion colique complexe, la délimiter, prédire son degré d’envahissement est la garantie d’un traitement adéquat. Quant à la démographie des endoscopistes interventionnels, celle-ci est satisfaisante à ce jour, même l’amélioration du maillage territorial des compétences est nécessaire. Les délais de programmation des actes complexes, ou le recours à des experts, sont en moyenne d’un mois (2).
(1) Mazurek M, Murray A, Heitman S J, et al. Association Between Endoscopist Specialty and Colonoscopy Quality: A Systematic Review and Meta-analysis. Clinical Gastroenterology and Hepatology 2022;20:1931–46
(2) Enquête "une semaine d'endoscopie en France", résultats préliminaires présentés lors d’un symposium à VidéoDigest Cours intensif 2022 « De la qualité de la coloscopie à l’expérience patient : enjeux et perspectives ».
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