Alcool, tabac, HTA… De nombreux facteurs de risque classiques influencent la morbimortalité masculine. À côté de ces déterminants habituels, des éléments plus insidieux pèsent aussi sur la santé des hommes, qu’il s’agisse de facteurs hormonaux comme dans le risque cardiovasculaire ou génétiques comme dans le Covid-19. Et pour certaines pathologies, comme l’hépatite C ou les overdoses, les hommes les plus à risque ne sont pas forcément là où on les attend.
Et si le fait de n’avoir qu’un seul chromosome X jouait en la défaveur des hommes et de leur santé ? Si la question a été remise sur le devant de la scène par l’épidémie de Covid-19, elle se pose aussi pour d’autres pathologies.
Une chose est sûre en tout cas, les chromosomes sexuels ne contrôlent pas uniquement le développement des organes reproductifs et interviennent à bien d’autres titres, en particulier au niveau immunitaire. Avec notamment une implication majeure du chromosome X – dont les fonctionnalités sont de mieux en mieux connues –, mais aussi un rôle propre du chromosome Y.
Deux chromosomes X valent mieux qu’un ?
« Alors qu’il y a encore peu de données sur le chromosome Y, on sait beaucoup de choses sur l’X », précise le Dr Jean-Charles Guéry, directeur de recherche à l’Inserm (Toulouse). Si le séquençage du génome humain n’a identifié qu’une petite centaine de gènes sur le chromosome Y qui s’expriment uniquement chez l’homme, « on a pu mettre en évidence que le chromosome X contient 1 500 gènes », poursuit le spécialiste.
La femme ayant deux X, on pensait qu’il existait une inactivation totale du deuxième X, « mais en fait, 15 à 23 % des gènes échappent à cette inactivation et sont exprimés en double chez la femme », indique l'académicienne Claudine Junien, professeure émérite de génétique.
Le sexe masculin pénalisé vis-à-vis du risque infectieux…
Un phénomène qui semble pénaliser le « sexe fort » vis-à-vis du Covid-19 et plus largement vis-à-vis du risque infectieux. « Il y a en effet une disparité immunitaire entre l’homme et la femme, explique le Dr Guéry, portée, selon l’hypothèse la plus probable, par le chromosome X. » À ce titre, le gène TLR 7 est important et échappe à l’inactivation du X, il est donc moins présent chez l’homme, qui n’a qu’un seul X. Les cellules immunitaires qui ont deux copies de ce gène ont une meilleure capacité à produire des anticorps que les cellules qui n’en contiennent qu’une. Ce qui peut expliquer en partie pourquoi les hommes ont fait des formes plus graves de l’infection à SARS-CoV-2 que les femmes (lire encadré ci-dessous).
Vulnérabilité masculine face au Covid-19 : la piste génétique
Les derniers chiffres de Santé publique France le confirment : les hommes paient un plus lourd tribut au SARS-CoV-2, 59 % des décès liés au Covid-19 en France ayant été déplorés en population masculine.
Pour expliquer ce constat, la piste génétique a été mise en avant. Certains gènes protecteurs vis-à-vis de l’infection pourraient être portés par le chromosome X présent en un exemplaire chez l’homme contre deux chez la femme. Ainsi du gène TLR 7 impliqué dans la production d’anticorps.
« Le chromosome X est aussi concerné pour le gène de l’ACE2 impliqué dans la reconnaissance du spicule du SARS-CoV-2, ajoute le Dr Guéry, et pour le gène de l’apo E4 impliqué dans le vieillissement. » Une piste intéressante dans la mesure où l’épidémiologie du Covid-19 montre aussi une forte proportion de personnes âgées parmi les formes graves. En modulant la réponse inflammatoire, le chromosome Y pourrait aussi jouer un rôle.
Au-delà du Covid-19, « il existe un biais de sexe sur la réponse immunitaire et en particulier sur la réponse anticorps », résume le chercheur. Ainsi, en matière de vaccination, on observe des taux d’anticorps moins élevés chez l’homme, les femmes s’immunisant pour des doses deux fois moindres. Qualitativement, la constatation est similaire avec un pouvoir neutralisant des anticorps produits un peu inférieur chez l’homme. « Quand on transfère du sérum d’une femme vaccinée chez un receveur non vacciné, on le protège mieux des surinfections qu’en utilisant un sérum de donneur masculin », indique Dr Guéry.
Par ailleurs, l’homme est davantage touché par certaines infections comme la tuberculose. Cette constatation se vérifie dans différentes populations, suggérant ainsi une immunité masculine moins efficace contre le bacille de Koch. Idem pour la leishmaniose en Amérique latine qui touche davantage les hommes, certes plus exposés sur le plan environnemental en raison de leur travail dans les champs, mais pas seulement. À exposition identique, on a aussi constaté une plus grande fréquence de la leishmaniose cutanée chez les scientifiques hommes étudiant la forêt par rapport à leurs homologues féminins, ce qui plaide pour un rôle propre du déterminisme sexuel.
De même, il est admis que la charge virale lors de la phase aiguë de l’infection à VIH est plus élevée chez l’homme, avec un pronostic ultérieur plus péjoratif. Mais sur ce plan, le chromosome X pourrait bien ne pas être le seul en cause. Des chercheurs ont en effet mis en évidence des prédispositions génétiques liées au Y, favorisant des formes graves ou une certaine forme de résistance au traitement antirétroviral. « Il y a un rôle prédominant du chromosome Y dans le pronostic de l’infection à VIH où le système immunitaire ciblant les CD4 infectés est une étape-clé dans la pathogenèse », résume l’équipe de Manchester dans The Y chromosome : a blueprint for men’s health ? Il est notamment probable que la réponse par l’interféron de type 1 soit moins marquée chez l’homme.
… mais moins exposé aux maladies auto-immunes
Le chromosome Y pourrait donc également entrer en ligne de compte dans les processus immunitaires avec à la fois des conséquences délétères vis-à-vis du risque infectieux et un impact positif par rapport aux pathologies auto-immunes. « Les hommes font beaucoup moins de maladies auto-immunes », confirme le Dr Guéry. Le lupus par exemple touche deux fois plus la population féminine. Cependant, les hommes ayant deux X et un Y dans le cadre d’un syndrome de Klinefelter ont le même risque de développer un lupus que les femmes et cela démontre le rapport avec le nombre de copies exprimées des gènes. Des chercheurs ont montré expérimentalement chez la souris que la sévérité de la sclérose en plaques (SEP) est beaucoup moins importante chez les mâles que chez les femelles, celles-ci ayant une propension plus importante à développer la maladie. Chez l’homme, l’analyse des CD4 de patients ayant une SEP comparativement à des sujets contrôles fournit une preuve supplémentaire d’un mécanisme de régulation génique porté par le Y.
Le chromosome Y, pas si anodin que ça
D’autre part, certains gènes portés par le Y semblent également impliqués dans des affections cardiovasculaires. Les études phylogénétiques, c’est-à-dire un suivi générationnel, ont montré qu’un variant de Y exposait à la maladie coronaire (haplogroupe 1). Dans deux études anglaises, les chercheurs ont montré que le risque coronarien était augmenté de 45 à 75 % le cas échéant et que la présence de cette composante génétique n’est pas liée aux facteurs de risque traditionnels comme l’hypertension, la dyslipidémie, le diabète, l’obésité ou le tabagisme. L’analyse génétique montre que la composante inflammatoire est modifiée, avec une migration facilitée des monocytes vers l’intérieur des vaisseaux, ce qui concourt au développement de l’athérosclérose chez les porteurs de ce variant génétique.
Enfin, le gène SRY situé sur le bras P court du chromosome Y a probablement un rôle dans l’expression comportementale et pourrait intervenir par exemple dans la violence. Compte tenu de la prédominance masculine de l’autisme, le rôle du chromosome Y dans cette pathologie a aussi été suggéré mais n'est pas du tout établi pour le moment.
Au final, la différentiation homme/femme liée à la génétique concerne donc bien plus que les simples caractères sexuels, et tient à la fois de la présence du chromosome Y, qui s’exprime uniquement chez l’homme, et des gènes du deuxième X, échappant à l’inactivation, qui sont davantage exprimés chez la femme. Avec toutefois des relations complexes et des échanges de matériel génétique entre les deux.
Le chromosome Y en voie de disparition ?
Le chromosome Y, fer de lance de la masculinité, a rétréci au cours de l’évolution. Va-t-il pour autant disparaître, comme l’ont suggéré certains ? Le Pr Junien n’y croit pas. Le chromosome Y se singularise par le fait qu’il est seul alors qu’il existe deux copies des autres chromosomes dans chacune de nos cellules. Il est ainsi transmis de père en fils sans pouvoir subir de recombinaison génétique et bénéficier du « brassage » des gènes à chaque génération. Privé de ces avantages, il a tendance à se raccourcir.
Malgré cela, des recherches récentes ont démontré que le chromosome Y a développé des mécanismes pour « freiner » le taux de perte de gènes. Par exemple, une étude danoise a montré qu’ils étaient sujets à des ré-
arrangements autorisant une « amplification génique » permettant notamment de stabiliser la spermatogenèse.
A contrario, certaines espèces animales, telles que des rongeurs, ont totalement perdu leurs chromosomes Y, mais, même chez celles-ci, la reproduction reste sexuée. Pour autant, chez l’homme, le Y est si important pour réguler le génome qu’il n’est pas près de disparaître.