Philippe Berta (député du Gard) : « Le politique ne prend pas la mesure des enjeux liés aux maladies rares »

Publié le 07/04/2023
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Un quatrième plan national Maladies rares a été annoncé le 3 mars dernier par les ministères de la Santé et de la Recherche. Bien que les trois premiers plans français aient permis de réelles avancées, beaucoup reste à faire pour accélérer la recherche et améliorer les parcours de soins. Philippe Berta, député du Gard, président du groupe d’études « Maladies rares » à l’Assemblée nationale, fait le point.

Crédit photo : AFP

LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous rappeler ce que sont les maladies rares ?

PHILIPPE BERTA : Les maladies rares, c’est 3 millions de patients en France, près de 30 millions à l’échelle européenne et plus de 350 millions dans le monde. Plus de 7 000 maladies rares ont été identifiées à ce jour, dont 5 % seulement bénéficient de traitements approuvés en Europe. Près de 75 % des patients atteints de maladies rares sont des enfants, dont la moitié a moins de 5 ans. Depuis les années 1990, la Commission européenne les définit comme « toute maladie touchant moins de 5 personnes sur 10 000 dans l’Union européenne ».

Elles peuvent affecter toutes les grandes fonctions de l’organisme et concernent pratiquement toutes les spécialités (neurologie, infectiologie, dermatologie, cardiologie, hématologie, ophtalmologie, oncologie, pédiatrie, etc.). Près de 65 % des maladies rares sont graves et invalidantes. Elles provoquent des douleurs chroniques chez un patient sur cinq, la survenue d’un déficit moteur, sensoriel ou intellectuel dans 50 % des cas, une incapacité réduisant l’autonomie dans un cas sur trois. Elles engagent le pronostic vital dans presque la moitié des cas et sont responsables de 10 % des décès entre un et cinq ans.

Quel bilan faites-vous du troisième plan national Maladies rares (PNMR3) ?

Le PNMR3 a rencontré un certain retard à l’allumage lors de son lancement. Bénéficiant d’une année supplémentaire, il est désormais en cours d’évaluation par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) pour une remise de rapport au dernier semestre 2023. Il est désormais plus que temps de lancer le PNMR4 qui prendra le relais dès début 2024 et qui devra renforcer l’accès au diagnostic, l’organisation territoriale et le soutien à la recherche française pour des thérapies innovantes.

Depuis le premier plan en 2005, la France a déployé un réseau de centres de référence qui proposent une prise en charge spécialisée, la formation des médecins et des chercheurs et de la recherche en vue de mettre au point des thérapies pour les 95 % de maladies dites orphelines. Aujourd’hui, 387 centres de référence maladies rares (CRMR) et 1 800 centres de compétences maladies rares (CCMR) accueillent les patients et leurs proches à travers 23 filières spécialisées. C’est un réel progrès, et 39 % des diagnostics confirmés ont été posés ces dernières années dans des CRMR et des CCMR. Mais je me méfie dans le même temps de l’accumulation de plans souvent annoncés à grand renfort de communication mais qui parfois n’ont pas toujours l’efficacité espérée sur le terrain.

Le fait que l’existence même du groupe d’études « Maladies rares » à l’Assemblée nationale ait été maintenue est un signal fort. Ce groupe travaillera sur la période 2023-2027 avec les instances nationales et les associations de patients.

Quels sont les limites actuelles et les axes prioritaires selon vous pour ces prochaines années ?

Je pense qu’il est absolument nécessaire d’accélérer l’accès au diagnostic en France, et ceci sous toutes ses formes, néonatal, prénatal, voire préimplantatoire. Cette errance diagnostique, qui est de l’ordre de quatre à cinq années en moyenne, est une problématique centrale des maladies rares dans notre pays. La récente mise en place d’un groupe de travail interfilières, « Les clés du diagnostic », et du site internet correspondant contribuera à y répondre*.

Dans certaines maladies, comme l’amyotrophie spinale, si le traitement n’est pas pris précocement, les séquelles sont irréversibles. Comment accepter aujourd’hui que des malades, souvent des enfants, ne bénéficient pas de thérapies existantes, avec des conséquences graves et invalidantes ?

On entend parfois que les thérapies géniques coûtent cher : c’est un fait. Et même si le coût pourra baisser à terme, ces outils de médecine personnalisée resteront chers. Mais sur une durée de temps prolongée, la thérapie génique se révèle moins onéreuse que les soins réguliers et intensifs, sans parler de l’essentiel, à savoir la qualité de vie retrouvée pour l’enfant et pour sa famille. Un enfant malade qui ne reçoit pas de traitement engendre un coût d’environ 10 millions d’euros par rapport au 1 million d’euros nécessaire pour traiter. Il est important de remettre les choses en perspective et d’envisager les arbitrages politiques et financiers au-delà du court terme du budget annualisé de la nation.

Quelles sont les améliorations nécessaires dans le domaine des maladies rares ?

Si l’on parvient à améliorer le diagnostic, il faudra être mieux à même de proposer des traitements. La recherche française est en perte de vitesse. Selon le dernier classement de l’Observatoire des sciences et techniques (OST), la France a rétrogradé en nombre de publications se situant désormais à la 12e place sur 15 pays comparés. La Chine et les États-Unis caracolent toujours en tête, mais nous sommes désormais derrière nos voisins européens.

La recherche en santé, malgré la loi de programmation pluriannuelle 2021-2030, nécessite d’autres moyens, et vite. Les budgets français alloués demeurent insuffisants, 25 milliards d’euros en plus sur dix ans, c’est trop peu. L’inflation de ces derniers mois, la hausse du coût de l’énergie mais aussi la hausse du coût des recherches liées aux avancées scientifiques et technologiques le nécessitent. Mais c’est toute la chaîne de valeur du médicament orphelin qu’il faut interroger, de la recherche fondamentale à l’autorisation de mise sur le marché.

Ceci débute par une meilleure structuration de la recherche française en santé avec une meilleure coordination de ses multiples acteurs qui travaillent trop souvent en silo. Pourquoi pas un unique et grand institut de type « One Health » ? Les réponses suggérées par le nouveau président de l’Académie des sciences, le Pr Alain Fischer, doivent attirer notre attention. Sur le plan financier, il faut permettre l’accès à nos entreprises de biotechnologie à des fonds d’investissement plus profonds. Si l’accès précoce améliore désormais les choses, il apparaît aussi nécessaire de fluidifier les procédures d’évaluation en prenant en considération pleinement les spécificités de la maladie rare, en particulier l’absence de comparatif pour de telles innovations.

De quelle manière les médecins et les hôpitaux peuvent-ils jouer un rôle dans les progrès attendus ?

Nous savons tous quelles sont les contraintes actuelles des hôpitaux et des médecins, qu’ils soient hospitaliers ou libéraux. Mais des améliorations sont possibles. Je ne pense pas que ce soit le rôle des CHU d’accueillir et de gérer des plateformes de séquençage haut débit. Ces structures coûtent cher, demandent des personnels disponibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, les frais d’entretien y sont importants et les nouvelles générations d’équipement nécessitent des investissements récurrents. On pourrait confier ces séquençages à des acteurs privés nationaux à travers des contrats public-privé et concentrer les moyens publics pour amplifier l’analyse des données, étoffer le conseil génétique ou encore assurer le suivi en vie réelle des traitements mis en place.

Nous pouvons et devons faire beaucoup plus. On ne peut demander à aucun médecin de connaître l’ensemble des maladies rares actuellement identifiées, d’autant que leur nombre augmente sans cesse. Mais on peut mieux les former, et de premiers efforts ont été réalisés en formation initiale comme en formation continue à travers le PNMR3. Il faut nous améliorer en génétique, afin que chercheurs et praticiens parlent le même langage et avancent main dans la main.

L’information peut aussi se faire grâce au numéro dédié Maladies rares Info Service, qui devrait être affiché dans tous les cabinets de ville, et pour l’aide au diagnostic à travers le site « Les clés du diagnostic ». Cette plateforme, après des difficultés au lancement, devrait permettre d’orienter toutes les familles qui en ont besoin vers le centre référent correspondant. Les crédits alloués pour les maladies rares ne doivent plus être absorbés pour des frais de fonctionnement. Je crois que les choses se sont là aussi améliorées. Les cliniciens œuvrent de plus en plus pour améliorer le parcours de soins et doivent poursuivre l’amplification de la production de protocoles nationaux de diagnostic et de soins (PNDS).

Enfin, il nous faut poursuivre la sensibilisation aux côtés de l’Alliance Maladies Rares et de l’AFM-Téléthon, et des centaines d’associations, en y intégrant les décideurs publics. Un travail doit notamment être mené à l’Assemblée nationale pour acculturer les députés et les amener à défendre cette cause si essentielle. Il y va de l’avenir de la santé et de la vie de nos citoyens.

*clesdudiagnostic.fr

Propos recueillis par Neijma Lechevallier

Source : Le Quotidien du médecin