Pourquoi des enfants peuvent-ils en être atteints très jeunes et des adultes à un âge avancé ? Pourquoi les formes peuvent-elles régresser spontanément chez l’enfant ? Pourquoi chez l’adulte certaines restent indolentes et d’autres deviennent agressives ? Face à un tableau clinique hétérogène et énigmatique, beaucoup de questions se sont posées au sujet des maladies du mastocyte. Ces deux dernières décennies, les chercheurs ont apporté des éléments fondamentaux pour comprendre la physiopathologie et mettre au point des traitements.
« C’est un travail de 20 ans qui a été favorisé en France par la création des centres de référence des maladies rares, un programme que le monde entier nous envie, explique au Quotidien le Pr Olivier Hermine, hématologue à l’hôpital Necker à Paris. Ce dispositif a permis de regrouper en un même endroit les patients et les compétences, favorisant le développement de la recherche. Que le centre de référence sur les maladies du mastocyte (Ceremast) soit installé à Necker, hôpital pédiatrique mais aussi adulte avec une forte activité de recherche à l’Institut Imagine, permet de mélanger tous les âges et de comprendre l’hétérogénéité de la maladie. »
Les signes d’appel de cette maladie rare sont multiples et variables. Une cytopénie, un amaigrissement, une splénomégalie mettent sur la piste d’une maladie hématologique, dont le diagnostic est facile avec la réalisation d’un myélogramme. Parfois c’est plus compliqué pour les formes indolentes. « En cas d’atteinte cutanée, un dermatologue évoque assez vite le diagnostic sur la clinique et peut le confirmer avec une biopsie cutanée, mais les symptômes peuvent être moins francs. Il faut y penser et doser dans le sang la tryptase, par exemple en cas d’ostéoporose sans facteur de risque évident comme la prise de corticoïdes et en particulier chez l’homme, ou encore en cas de choc anaphylactique à répétition ou lors d’une anesthésie », indique l’hématologue.
La découverte du gène Kit, un point de bascule
La recherche a mis au jour dans les années 2000 l’origine génétique de la maladie : les mutations du gène Kit, qui code pour un récepteur de la famille des protéines kinases. S’il peut exister un terrain favorisant familial, les mutations ne sont pas héréditaires, mais bien somatiques acquises chez l’adulte et chez l’enfant. « Ce qui était très curieux, c’est que ce gène est muté à la fois chez les enfants quand la maladie régresse mais aussi chez les adultes quand elle persiste, expose le Pr Hermine. On a compris que chez l’enfant, les mutations sont situées à un endroit différent de chez l’adulte, ce qui peut expliquer la régression tumorale par induction de sénescence. Chez l’adulte, la distinction entre formes agressives et indolentes tient aux mutations additionnelles, en particulier celles associées à l’hématopoïèse clonale de signification indéterminée, dite Chip. C’est un point important car ces découvertes nous permettent de dire aux patients s’ils ont une forme agressive ou pas, de prévenir l’évolution et d’apporter un traitement adapté qui peut comporter la greffe de moelle allogénique. »
La découverte du gène muté (la mutation principale étant D816V) a permis le développement de médicaments, tel que l’avapritinib, un inhibiteur sélectif de tyrosine kinase. Son enregistrement récent par les autorités sanitaires est une avancée majeure. « Nous sommes à 10 ans de suivi dans les formes agressives, après 15 ans de développement, s’enthousiasme le Pr Hermine. Des malades qui auparavant décédaient dans les deux ans sont encore en vie. »
Mais les chercheurs ont aussi amélioré la description clinique de la maladie. « Au-delà des symptômes spécifiques de la mastocytose agressive avec son cortège prolifératif et de l’urticaire pigmentaire dans les formes indolentes, on s’est rendu compte en regroupant les cas dans les centres de référence que les patients présentent aussi des symptômes variés sans excès de mastocytes : chocs anaphylactiques, intolérances alimentaires, asthénie, troubles cognitifs, anxiété, dépression, burn-out au travail, douleurs chroniques, intolérance au bruit et à certaines odeurs, poursuit le spécialiste. Autant de symptômes qui pèsent sur la qualité de vie, entravent les interactions sociales et empêchent de travailler. La charge sociale est ainsi apparue à l’échelon collectif, ce qui n’était pas mis en évidence à l’échelon individuel. »
L’avapritinib indiqué dans les formes agressives et indolentes
De là a germé l’idée de tester dans les formes indolentes, qui représentent 90 % des cas, les inhibiteurs de tyrosine kinase développés initialement pour les formes agressives, la preuve de concept ayant été faite il y a 10 ans dans des modèles animaux et des patients au Ceremast. « Plus récemment, les études internationales sur l’avapritinib ont confirmé qu’il améliore aussi la charge sociale et économique liée à la maladie, ce fut un premier résultat déterminant », explique le Pr Hermine. L’avapritinib a depuis l’autorisation de mise sur le marché pour les formes agressives et indolentes et est remboursé en France dans les deux indications.
Sur quels critères décider de traiter ? Faut-il le proposer tout le monde ? « Il y a des critères objectifs tels que les cytopénies, l’augmentation du volume de la rate, le dosage sanguin de la tryptase ou les éruptions cutanées voire les chocs anaphylactiques, mais il y a aussi tout ce qu’on ne voit pas et qui peut être handicapant, comme les troubles neurologiques et cognitifs, souligne le Pr Hermine. Si le patient perçoit sa maladie comme telle – par exemple un chef d’entreprise sera davantage gêné par les troubles cognitifs et la fatigue qu’un retraité -, l’avapritinib peut être proposé compte tenu de la bonne tolérance et de la faible toxicité. Ce qui est nouveau, c’est que l’évaluation se fait principalement sur des critères subjectifs liés au ressenti du patient en plus des symptômes objectifs retrouvés par le médecin ». La décision est prise en réunion de concertation pluridisciplinaire dans les centres de référence. Le plus souvent, après quelques semaines de traitement, les symptômes sont significativement atténués et au bout de deux à trois ans à une dose quatre fois moins importante que pour les formes agressives, l’arrêt de traitement peut se discuter. « La maladie est contrôlée au bout de quelques semaines mais on ne sait pas encore très bien aujourd’hui quand arrêter le traitement, souligne le Pr Hermine. Élément important, le suivi à long terme n’a pas montré d’effets secondaires gravés ou inattendus ».
Des questions en suspens dans le syndrome d’activation mastocytaire
Des pans de recherche restent néanmoins à explorer. « Certains patients qui ont une forme agressive ne répondent pas au traitement et développent parfois des maladies hématologiques associées, plus en lien avec les complications de l’hématopoïèse clonale qu’à la mastocytose elle-même », précise l’hématologue. Autre champ complexe à explorer : le syndrome d’activation mastocytaire (Sama). « Pour ces patients qui ont les mêmes symptômes mais pas de mastocytose, des recherches sont à mener sur les mécanismes en jeu, explique le Pr Hermine. Tous les symptômes, certains très aspécifiques comme l’asthénie, les troubles cognitifs ou la dépression, ne sont pas toujours liés à l’activation des mastocytes ». Des études sont en cours pour identifier des biomarqueurs de cette activation.
La définition du Sama reste floue, malgré des consensus internationaux, car les critères sont difficilement applicables en clinique, en particulier l’augmentation de la tryptase (+ 20 %) lors d’un épisode aigu. « Aujourd’hui, la présence de symptômes tels que le prurit, l’urticaire et le choc anaphylactique permettent d’évoquer le diagnostic ainsi que la réponse aux antihistaminiques, au montélukast ou au cromoglicate de sodium. En première intention, le traitement est symptomatique, c’est dans la définition », explique l’hématologue. Si cela ne suffit pas, on pourrait aller plus loin avec l’arsenal de la mastocytose. Des combinaisons de traitement et la place de l’allogreffe sont en cours d’évaluation. « La mutation génétique n’est pas forcément retrouvée parce qu’elle est absente ou parce que les tests utilisés ne sont pas assez sensibles, indique le spécialiste. Il est possible que le blocage mastocytaire améliore les symptômes spécifiques mais peut-être moins ceux qui ne le sont pas ». Après des avancées majeures sur le rôle du mastocyte dans la pathogenèse, la recherche fondamentale et clinique a encore de beaux jours devant elle.
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