LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN – Quelles sont les différences entre antiagrégants plaquettaires et anticoagulants ?
Dr CHRISTIAN BOUSTIÈRE – La mise en œuvre d’une endoscopie chez un patient sous anticoagulant – héparine ou antivitamine K – implique une stratégie simple qui a fait l’objet d’une recommandation par la Haute Autorité de santé (HAS). Aucun geste endoscopique autre que diagnostique ne doit être en effet réalisé sans interruption de ce traitement curatif. Le plus souvent, un relais par héparine de bas poids moléculaire est prévu, avec une fenêtre thérapeutique de 6 à 24 heures pendant laquelle le geste est réalisé. La reprise du traitement anticoagulant s’accompagne toutefois d’un risque de saignement retardé qu’il faut donc prendre en compte.
Les antiagrégants plaquettaires (AAP), quant à eux, sont des médicaments employés en prévention du risque thrombotique. Leurs indications sont pour l’essentiel au nombre de deux : l’insuffisance coronaire avec mise en place d’une endoprothèse coronaire ou stent, et l’artériopathie cérébrale ou périphérique. Environ 12 % des endoscopies réalisées en France concernent des patients sous AAP ou anticoagulants.
Quels sont les patients sous AAP dont le risque de thrombose est particulièrement élevé ?
Plus l’événement cardio-vasculaire qui motive la prescription d’AAP est récent, plus le risque de thrombose est élevé. Ainsi, en cas d’implantation d’un stent nu, il est majeur dans les 6 semaines. En cas de mise en place d’un stent actif, il reste élevé pendant 6 à 12 mois. Pendant cette période, les patients sont le plus souvent sous bithérapie associant aspirine et clopidogrel. Au-delà d’un an, on estime que l’un des antiagrégants, le plus souvent le clopidogrel, peut être interrompu, le patient étant alors sous aspirine seule à faible dose, antiagrégante.
Peut-on interrompre complètement un traitement par AAP ?
L’arrêt du traitement par AAP s’accompagne d’un risque élevé d’accident thrombotique aigu par effet rebond. Ce risque peut être sous-estimé chez les patients stables. Il devient maximal après le 7e jour d’arrêt du traitement antiplaquettaire. En principe, il ne faut jamais arrêter totalement le traitement et si l’on doit l’interrompre par nécessité absolue, un arrêt d’une durée de 5 jours est suffisant avec une reprise au maximum 48 heures après le geste.
Y a-t-il des traitements de substitution ou un relais possible ?
La substitution du traitement antiagrégant par l’héparine, fractionnée ou non, ou par le flurbiprofène n’est pas recommandée. C’est pourquoi il est préférable de reporter le geste endoscopique à une date à laquelle le traitement AAP pourra être interrompu ou du moins allégé. Dans le cas contraire, si le report n’est pas possible, il sera effectué sous traitement AAP. Dans cette situation, la décision doit être prise au cas par cas, en appréciant le risque hémorragique de l’intervention envisagée et le risque de thrombose cardio-vasculaire, idéalement dans le cadre d’une confrontation multidisciplinaire.
Qu’en est-il avec les nouveaux venus comme le prasugrel ou le ticagrélor ?
Le prasugrel appartient, comme le clopidogrel, à la famille des thiénopyridines. Il entraîne une inhibition plaquettaire plus intense que le clopidogrel. Cette meilleure efficacité s’accompagne d’un risque d’événements hémorragiques légèrement supérieur.
Le ticagrélor est un inhibiteur direct du récepteur plaquettaire P2Y12 de l’adénosine diphosphate. Son action présente l’intérêt d’être réversible. Il n’est donc pas nécessaire d’attendre une semaine pour un geste endoscopique, un délai de 3 à 5 jours étant considéré comme suffisant. Cette nouvelle molécule semble donc avoir une meilleure sécurité, mais les données de la littérature relatives à son utilisation en endoscopie font encore défaut.
Doit-on modifier le traitement antiagrégant dans le cas d’une endoscopie diagnostique, pour faire des biopsies ou pour enlever des polypes en coloscopie ?
Pour une endoscopique diagnostique sans biopsie, le traitement par AAP peut être poursuivi, y compris si le malade est sous bithérapie. Si des biopsies sont prévues, il en va de même, les études appuyant cette recommandation étant d’un fort niveau de preuve. La réalisation d’une écho-endoscopie peut également être réalisée sous AAP. Il en va de même de la ponction d’une masse à la condition qu’elle soit solide.
L’ablation de polypes à l’anse peut être réalisée sous aspirine dans la majorité des cas, sous réserve d’une technique parfaite et de la mise en œuvre de techniques d’hémostase préventives pendant le geste. Des publications récentes, bien que plus limitées en effectif, n’ont pas retrouvé de sur-risque de complications hémorragiques avec le clopidogrel pour ce même type de procédure endoscopique.
Finalement on peut réaliser presque tous les examens endoscopiques sous AAP ?
En pratique, beaucoup d’examens peuvent être réalisés sans risque chez un patient sous AAP, y compris sous bithérapie. Cela s’applique également aux biopsies et aux polypectomies, cette recommandation ayant été émise avec un fort niveau de preuve. Le risque de l’arrêt du traitement AAP est en effet le plus souvent largement supérieur au risque hémorragique.
L’aspirine est-elle plus sécurisante que le clopidogrel ?
Pour une coloscopie, il peut être envisagé un « switch » du clopidogrel vers l’aspirine, plus sécurisante. Cette substitution aura lieu avant le geste endoscopique et pendant les 5 jours qui suivent.
Quels sont les examens endoscopiques à haut risque pour lesquels l’arrêt des AAP est indispensable ?
Les gestes à haut risque, imposant l’arrêt des AAP, sont celles comportant un risque élevé de saignement, comme les larges mucosectomies, les dissections sous-muqueuses et l’ampullectomie.
Dans certains cas difficiles, mais heureusement rares, le geste devra être adapté ou différé, et éventuellement remplacé par une alternative peu ou pas invasive quand celle-ci est disponible.
*hôpital Saint-Joseph, Marseille.
Conflits d’intérêt : aucun
Pour en savoir plus : Boustière C, et al. Endoscopy and antiplatelet agents. European Society of Gastrointestinal Endoscopy (ESGE) Guideline. Endoscopy 2011;43(5):445-58.
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