Après la double greffe de mains à Lyon

La recherche prise en excellence technique et lourdeurs administratives

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Publié le 13/02/2017
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Crédit photo : DR

Jean-Michel Schryve, 51 ans, est le dernier patient du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), a assuré le Pr Lionel Badet, responsable de l'activité chirurgicale de transplantation des Hospices civils de Lyon, le 9 février, lors de la présentation officielle de la greffe bilatérale des avant-bras, réalisée en novembre 2016.

Ce PHRC, ouvert en 2000, a permis au CHU de Lyon de greffer 5 patients jusqu'en juillet 2009 ; il a été prolongé en octobre 2011, afin de permettre l'inclusion de deux patients supplémentaires, l'un en novembre 2012, puis Jean-Michel Schryve. Une cadence que d'aucuns trouvent lente pour la France pionnière dans ces allotransplantations de tissu composites (ATC), avec la première greffe mondiale de main à Lyon, par le Pr Jean-Michel Dubernard en 1998.

Certes, l'inertie s'explique par la niche dans laquelle s'inscrivent ces ATC. « Ces greffes concernent un faible nombre de patients ; et chaque patient est un cas particulier, qu'il faut planifier », explique le Dr Mikaël Hivelin, de l'Hôpital Européen Georges Pompidou (HEGP).

Comme toute recherche biomédicale, l'encadrement de ces ATC est strict : Elles requièrent l'avis favorable du comité de protection des personnes (CPP) et l'autorisation de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui consulte l'Agence de la biomédecine (ABM). Vient ensuite la recherche de financement, l'assurance-maladie ne prenant en charge que les actes en routine.

« La France ne démérite pas dans la compétition internationale ; nos résultats sont cohérents avec la taille de notre pays et son nombre de donneurs », rassure le Pr Olivier Bastien, directeur du prélèvement et de la greffe d'organes et de tissus à l'ABM, rappelant qu'en France, 3 équipes travaillent sur les ATC versus 7 aux États-Unis. Selon l'Agence, il y a eu 51 greffes d'avant-bras dans le monde, dont 9 en France (8 à Lyon, une à Créteil), et 38 de la face, dont 10 dans l'hexagone. « Il faut trouver l'équilibre entre la sécurité sanitaire, l'encadrement juridique, et les avancées scientifiques », poursuit-il.

Manque de volonté politique ?

« Les greffes exceptionnelles sont impossibles en France. Depuis 5 ans, je ne peux plus rien faire. Il n'y a aucune volonté politique ! » dénonce le Pr Laurent Lantieri, chef de service à l'HEGP (AP-HP), qui va jusqu'à demander la sortie de ces ATC des cadres de la recherche.

Son équipe à l'HEGP n'a pas fait d'ATC depuis 2011. Le service avait pourtant reçu l'autorisation administrative pour les greffes de main en janvier 2013, et inscrit sur liste d'attente au printemps 2013 deux patientes amputées des quatres membres à la suite de complications gynécologiques. Une ligne budgétaire avait été débloquée par l'hôpital. Les équipes, entraînées sur des corps donnés à la science, étaient plus que rodées. Mais rien : aucun donneur potentiel ne leur est signalé par l'ABM. En janvier 2016, « la ligne budgétaire a été coupée, les patientes ont été retirées de la liste d'attente », s'offusque le Pr Lantieri, pour le moins remonté à l'égard de l'ABM et de la direction de l'AP-HP.

De guerre lasse, le Pr Lantieri a fait transplanter l'une des deux patients, Laura, 28 ans, dans le service du Pr Scott Levin à Philadelphie en août 2016. « Les États-Unis ont réussi à trouver un greffon en 2 mois sur un territoire équivalent à 1/4 de la France. Dans l'hexagone, l'ABM n'a pas trouvé de greffon pendant trois ans », accuse-t-il.

Et maintenant ?

Un protocole de recherche médico-économique (PRME) devrait associer les équipes lyonnaises et parisiennes pour comparer prothèses et transplantations chez 30 patients. « On attend l'avis de l'ANSM qui devrait tomber mi-mars », a indiqué le Pr Lionel Badet. D'autres PHRC sont sur les rails, rappelle le Pr Bastien, pour des greffes d'utérus et de larynx.

Un amendement introduit par le député lyonnais Jean-Louis Touraine dans la dernière loi de financement pour la sécurité sociale permet aux ARS d'autoriser un établissement de santé à pratiquer une greffe exceptionnelle, après avis d'un comité national (ANSM/ABM). Ce qui pourrait mettre de l'huile dans les rouages, une fois les textes d'application parus. « Mais il faut avant tout une volonté et un soutien politique fort. Car toute greffe est une victoire médicale et sociale pour le patient et financière pour la société », insiste le Dr Hivelin. 

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9555